Da Vinci Daube

La daube est là. Une bonne grosse daube comme on n'en espérait plus. Dans Libé, les journalistes se lâchent: "Ron Howard ne sort pas de la cuisse d'Orson Welles, on le savait, mais d'avoir perdu à ce point le code de la mise en scène est l'une des surprises de ce film." Une catastrophe aux proportions bibliques s'annonce. Et ce n'est pas la tentative de jouer la promo sur le côté sulfureux de l'intrigue à deux balles cinquante qui va rattraper le coup. Jésus couchait-il avec Marie-Madeleine? Lazare était-il vraiment mort, alors qu'il bandait encore? Florence Aubenas, qui couvre les à-côtés du Festival, cite soeur Mary Michael, de la congrégation britannique Peace and Mercy, qui prie bruyamment en robe de bure et crucifix au bas des marches du Palais pour que «le film soit un échec commercial»: «Vous savez entre Jésus et Marie-Madeleine, il ne s'est rien passé. C'est des ragots. Ils étaient amis, mais sans plus.» La citation vaut son pesant de cachouètes, on dirait un avocat de Clinton tentant de minimiser sa relation avec Monica Lewinsky. Voilà où nous en sommes, la métaphysique à portée des hannetons, la vraie vie rêvée du Christ traitée comme un épisode de télé-réalité. ( La semaine prochaine, Jesus marche sur l'eau tandis que Jean-Edouard et Loana s'ébrouent dans la piscine). Pour avoir passé mon adolescence à engloutir des polars et des thrillers anglo-saxons, je me suis souvent posé la question du succès du pensum de Dan Brown, qui déroule une intrigue poussive de Cluedo avec toute l'élégance stylistique d'un éléphant dans un escalator de centre culturel, quand de très nombreux écrivains anglais et américains ont imaginé la découverte d'un nouvel Evangile remettant en cause les fondements même de l'Eglise, dans des romans autrement mieux écrits et plus attachants.
Tout s'est passé ces dernières années comme si, de révélations en contre-enquêtes, le monde des médias et de l'édition avait voulu nourrir l'appétit des théoriciens du complot, tout en essayant de focaliser une masse critique d'humains sur une fausse énigme dont, carrément, le monde ne devrait rien avoir à foutre. Etait-il possible de faire lire la même daube à tout le monde en même temps? Puis de multiplier les produits dérivés à l'infini...
On est très, très loin de la littérature, qui suppose un cheminement personnel, la rencontre extemporanée d'un livre et d'un lecteur, plutôt que le matraquage médiatique forcené qui fait que tel livre DOIT avoir été lu à TEL moment. Assez symptomatique, cette réflexion de Doc Gyneco, venu promouvoir son "livre" à la Foire de Saint-Louis à laquelle j'assistais: "Mon bouquin, c'est le nouveau Da Vinci Code." On a les références qu'on peut.
Etrangement, même ceux qui sont censés faire la promotion de telles daubes n'y croient pas. Il n'est qu'à entendre, à la radio, les spots publicitaires pour Eurostar, partenaire du film, dans lesquels deux enquêteurs, censés représenter les deux personnages clefs du film, Langdon et Neveu ( Tom Hanks avec une coupe de cheveux atroce qui rend encore plus visible son début de calvitie, et que certains news-magazines ont tenté de comparer à Harrison Ford dans Indiana Jones..., Audrey Tautou perdue). Ces petits spots de moins d'une minute, qui ridiculisent l'intrigue ( Regardez, il y a soixante-cinq peupliers sur le tableau... on essaie de nous faire comprendre qu'on peut aller à Londres en Eurostar pour 65 euros! Et ce qui tient le tableau là, c'est quoi?... Un clou.), vont-ils encore être diffusés, maintenant que le film se ridiculise tout seul?
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