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Carrefour se met à vendre des "légumes interdits": "C'est aussi de l'opportunisme commercial"

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Oignon rosé d'Armorique, haricot coco du Trégor... Ces légumes, comme 96,4% des semences existantes, sont absents de la grande distribution. La faute à des lois trop restrictives, jugent les supermarchés Carrefour, qui lancent ce mercredi une opération de communication pour commercialiser ces semences paysannes. Sur les réseaux sociaux, certains y voient une manoeuvre pour se racheter une conscience verte. Interrogé par RMC.fr, Guy Karstler, de la Confédération paysanne, est formel: Carrefour se plie aux exigences des maraîchers.

Guy Kastler, maraîcher, syndicaliste, est responsable de la Commission "semences" à la Confédération paysanne. Il a participé à titre individuel à l'élaboration du programme "Marché interdit" de Carrefour, qui vise à commercialiser des semences paysannes.

"Cette opération a été menée en partenariat entre Carrefour et un groupement de producteurs de légumes bio qui produisent leurs propres semences. J'ai été sollicité à titre personnel, sans engager la Confédération paysanne, pour les aider sur le plan juridique.

"On n'a pas la même vision qu'eux"

Contrairement à ce qu'on peut penser, avec cette initiative, Carrefour se complique la vie à court terme, car la diversité ne va pas nécessairement faciliter leur travail. La grande distribution préfère des lots de marchandises qui sont toutes identiques.

Cela ne veut pas dire que nous, maraîchers bio, soutenons Carrefour. On n'a pas la même vision qu'eux sur la segmentation du marché, la répartition des marges ou l'origine des produits qu'ils achètent.

"On ne cautionne pas les actes de la grande distribution"

Deux choses dans cette opération: c'est nous qui décidons des produits présentés, comme le potimarron angélique ou la rhubarbe acidulée de Bretagne... Ce travail a été fourni par des agriculteurs, de même que celui sur les questions juridiques. Ces demandes ne sont pas celles de Carrefour, ce sont les nôtres.

Cela ne signifie pas non plus que l'on cautionne la grande distribution quand elle va acheter des légumes bio qui viennent d'Espagne, récoltés par des ouvriers qui vivent dans des conditions inhumaines. Mais ce n'est pas Carrefour qui le fait le plus. Or, si on veut que la grande distribution change, il faut commencer quelque part.

"Les entreprises semencières dictent leurs normes"

Ce n'est d'ailleurs pas la grande distribution qui dicte les normes en matière de variété de semences, mais toutes les entreprises semencières. Certes, elle a intérêt à ce que les lots de produits soient homogènes. C'est plus arrangeant. Mais elle veut évoluer. Elle doit aussi tenir compte des retours de ses consommateurs qui leur font savoir leurs demandes, que ce soit au niveau gustatif ou nutritionnel.

Carrefour prend le parti de commercialiser des variétés locales qu'on ne trouve jamais dans les circuits de la grande distribution et qui ne sont consommées que dans les niches, les marchés locaux.

"C'est de l'opportunisme commercial"

Chez Carrefour, certaines personnes, qui consomment bio individuellement, sont convaincues de la nécessité de ce genre de choses. Et en tant qu'entreprise, ils se sont rendus compte qu'il y avait un marché à prendre. C'est de l'opportunisme commercial.

Comme toutes les grandes enseignes, Carrefour encourage un regroupement et une standardisation de l'offre. Plus on ouvre les frontières, plus il y a de circulation de marchandises, et plus on concentre les opérateurs. Même s'il en fait partie, Carrefour n'est pas le seul responsable de l'ouverture des marchés. C'est aussi la seule enseigne qui s'est mouillée contre les OGM, en réclamant les premières filières sans produits génétiquement modifiés.

"J'ai organisé des actions contre les grandes enseignes"

La Confédération paysanne, qui est réunie pour les états généraux de l'alimentation, a toujours eu des discussions très vives avec la grande distributions. Moi-même, j'ai déjà organisé des actions contre les grandes enseignes - sans les détruire, ce n'est pas le genre de la Confédération. On ne met pas nos actions passées en cause. Mais on veut que la distribution change ses pratiques. Pour cela, il faut sortir de notre bulle, et discuter.

J'ai moi-même toujours vendu en vente directe, sans avoir recours à la grande distribution. Mais tous les paysans ne peuvent pas vivre comme cela. Tout comme les Parisiens ne peuvent pas tous se fournir dans les AMAP."

Propos recueillis par Paul Conge