D'ici 2025, nous mangerons peut-être du steak fabriqué en laboratoire

- - Justin Sullivan - AFP / Getty images
Claire Lefebvre, auteure du documentaire Food 3.0 diffusé ce mercredi à 20h55 sur Planète+.
Les start-ups et les géants de la Silicon Valley sont en train d'inventer la nourriture de demain, la 'techno food'. Le produit le plus représentatif de ce mouvement, c'est le steak in vitro, fabriqué en laboratoire sur lequel travaille Mark Post, un chercheur néerlandais, grâce notamment au financement du co-fondateur de Google, Sergey Brin. Pour fabriquer ce steak, le chercheur reconstitue artificiellement du muscle de bœuf. Il prélève sur l’animal des cellules souches qu’il démultiplie dans un bain de nutriments, grâce à une stimulation électrique. Mais un steak, ce n’est pas que du muscle… Pour donner du goût, on va lui rajouter un peu de gras, et pour lui donner plus d'attrait, on ajoute des colorants… D'autres start-ups tentent de produire du lait artificiel, à partir de levures génétiquement modifiées de façon à reproduire les protéines du lait. D'autres entreprises tentent de fabriquer des œufs sans poules…
Ceux qui travaillent dessus nous disent qu'on pourra manger du steak in vitro en 2025. C'est impossible d'en juger, mais ceux qui sont derrière ont beaucoup de moyens financiers. Quand on vient de Californie, qu'on a créé Google, Apple on sait comment marketer ses produits, comment les fabriquer rapidement et comment les vendre.
"Ils ont l'air sincère dans leur envie de sauver l'humanité"
Leur but? Les géants de la Silicon Valley, si on grossit le trait, sont très mégalos et s'imaginent sauver le monde. Ils se sentent très concernés par l'écologie et par la souffrance animale. Ils ont l'air sincère dans leur envie de sauver l'humanité. Leur but, c'est de produire de la nourriture pour les 10 milliards d'êtres humains que nous serons en 2050, des êtres humains qui mangent de plus en plus de viande et de protéines (œufs et produits laitiers) et qui s'indignent devant la souffrance animale. Une question qui intéresse de plus en plus le consommateur éclairé que nous sommes.
La notion de goût est très peu présente pour ces gens-là. Eux prétendent que le goût est le même, et assurent que les tests sont bluffants en la matière. Ils prétendent s'adresser à des consommateurs très exigeants mais en réalité ils vont fabriquer des ersatz de poulets ou de steaks hachés. Les faux œufs seront utilisés dans l'industrie agroalimentaire pour faire des pâtes ou des biscuits, mais ne seront jamais utilisés par des grands chefs. Pour moi, on ne fabriquera jamais de la très bonne nourriture comme ça, on ne fabriquera que de la nourriture de masse.
"Un porc aux muscles hypertrophiés… qui meurt en accouchant"
Mais il n'y a pas que dans la Silicon Valley qu'on travaille sur l'alimentation de demain. La Chine est ainsi devenu le champion de la manipulation génétique des animaux. L'idée c'est de fabriquer des animaux qui résistent aux maladies, qui vont produire plus en consommant moins de nourriture, pour répondre à la demande croissante en viande de la classe moyenne en expansion. Les Chinois travaillent notamment sur un porc aux muscles hypertrophiés. Il est calqué sur la vache Blanc Bleu belge, une race destinée à la production de viande, aux muscles hypertrophiés, obtenue 'traditionnellement' grâce à des croisements. Une technique qui demande du temps car il faut attendre que les veaux obtenus par croisement grandissent et soient en âge de procréer pour réaliser de nouveaux croisements.
Le porc sur lequel travaillent les scientifiques chinois a été obtenu par des modifications génétiques. Le procédé est donc plus rapide, mais il nécessite de travailler directement sur les gênes. Et puis il n’est pas encore au point, parce que les muscles sont tellement importants que les truies n'arrivent pas à mettre bas et meurent souvent en couche. Les animaux obtenus par les chercheurs vivent actuellement dans des chambres isolées car ils sont très nerveux et agressifs. Mais les chercheurs sont confiants et très fiers de leurs travaux.
"Clonage d'animaux"
L’autre solution sur laquelle travaillent les Chinois, c’est le clonage d’animaux très performants en terme de goût et de rendements. Boya Life a ainsi créé une usine de clonage, dans le but de créer des animaux de compagnie, des chevaux de course, des chiens policier et des vaches d’élevage. A terme, il vise la création d’un million d’embryons bovins par an.
Son patron rêve d'un monde où l'on mangerait une très bonne viande à bas coût, accompagné en dessert de fraises très rouges et de bananes très jaunes qu'on pourrait manger toute l'année. C'est cela le modèle qui le fait rêver.
"Alimentation à deux vitesses"
Steak fabriqué en laboratoire, bœuf ou cochons génétiquement modifiés… A terme, ces produits-là seront à bas prix et intéresseront ceux qui n'ont pas beaucoup de moyens, renforçant cette nourriture à deux vitesses qui existe déjà. Les gens qui ont les moyens ou qui ont l'éducation au goût continueront à manger des vaches qui seront encore nourries à l'herbe dans des prairies, choyées, dont la viande sera découpée par un très bon boucher et maturée à point. Les autres accéderont à ces produits de laboratoire. A-t-on vraiment envie de ça? Et surtout, aura-t-on le choix ou en mangerons-nous comme on peut aujourd'hui manger sans le savoir des OGM dans certains pays?"