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Salon de l'agriculture: "J'étais à la fois ministre et photographe pour le président Chirac"

Jacques Chirac et son ministre de l'Agriculture Dominique Bussereau, lors du Salon de l'agriculture en 2007.

Jacques Chirac et son ministre de l'Agriculture Dominique Bussereau, lors du Salon de l'agriculture en 2007. - AFP

Dominique Bussereau, député Les Républicains de Charente-Maritime et ministre de l'Agriculture sous Jacques Chirac, de 2004 à 2007, raconte à RMC.fr les moments forts qui l'ont marqué, lors du Salon de l'agriculture.

Ministre de l'Agriculture sous la présidence de Jacques Chirac, de novembre 2004 à mai 2007, Dominique Bussereau, président du Conseil départemental de la Charente-Maritime, revient sur quelques anecdotes lors du Salon de l'agriculture pour RMC.fr.

"En tant que ministre de l’Agriculture, j’avais pris la décision de m’installer physiquement au Salon. Comme il y a les visites du président de la République, du Premier ministre, de nombreuses personnalités, du commissaire européen, des ministres européens... J’installais mon cabinet, mon bureau, mon équipe, sur le stand du ministère de l’Agriculture.

Ce qui signifie qu'on vivait au Salon de l'agriculture du samedi, jour de l’ouverture, à la fin de la semaine suivante. Ainsi, entre deux visites, je pouvais signer et parapher des documents, recevoir des gens, travailler, me reposer… Nous vivions à plein temps au Salon.

"J'étais à la fois ministre de l'Agriculture et photographe pour le président Chirac"

Mes meilleurs souvenirs sont ceux du samedi matin, avec les visites de Jacques Chirac. Il était un Président extrêmement amoureux du monde agricole et apprécié des agriculteurs. Sa visite durait une douzaine d’heures, avec beaucoup d’étapes, beaucoup de bousculades, beaucoup de photos. A l’époque, les smartphones existaient déjà, mais de nombreuses personnes possédaient un appareil photo. J'en prenais beaucoup pour le président, en compagnie de visiteurs et d'agriculteurs. Il concluait invariablement par la formule "clic clac, merci Kodak". J’étais à la fois ministre de l’Agriculture et photographe.

Je me rappelle aussi des visites du Premier ministre Jean-Pierre Raffarin et Dominique de Villepin. Ce dernier m’avait sidéré par sa facilité, en 12 ou 13 heures, à passer du lait, au cidre, au café, à la bière, à la vodka, au ti punch, avec une capacité d’absorption vraiment phénoménale.

"Des visites conviviales, un peu compliquées et bousculées, mais très agréables"

Naturellement, il fallait se rendre au salon avec un costume un peu usagé et des chaussures fatiguées pour pouvoir se faire marcher sur les pieds ou se prendre de la bouse de vache. Un autre moment qui m'a marqué reste la rencontre de Chirac avec quelqu’un qui lui dit 'Connard !'. Chirac se dirige vers lui, lui sert la main et répond: 'Bonjour, moi c’est Chirac'. Ces visites étaient toujours conviviales, un peu compliquées, un peu bousculées, mais très agréables.

Les Français avaient le sentiment que le Président passait son temps à boire et à manger. En réalité, tout cela était très préparé par son cabinet et sa fille Claude, ce qui fait qu'il y avait très peu de moments où il allait déguster ou boire un produit. Mais Chirac, qui était gourmand, essayait d’en sortir: parfois, au grand dam de ses accompagnateurs, il allait goûter un fromage de plus, une charcuterie de plus… Ses accompagnateurs essayaient de l’encadrer dans sa gourmandise et sa joie de vivre.

"Je n'ai jamais vu de moments de tension entre Chirac et les agriculteurs"

Lorsque la grande silhouette de Jacques Chirac empruntait l'escalator qui mène du hall 3 au hall 4, qui domine toute la foule, il y avait toujours des tonnerres d'applaudissements. Il était extrêmement populaire auprès des agriculteurs. 

Je n’ai jamais vu de moments de tensions entre lui et les agriculteurs. Bien sûr, plusieurs d'entre eux étaient en difficultés, pour des raisons touchant à leurs productions et leurs exploitations. Les agriculteurs lui exposaient leurs difficultés toujours dans une grande sympathie et une grande chaleur humaine.

"Cette atmosphère de joie de vivre n'est plus tout à fait la même"

Lors du Salon, je partais tard le soir, et je m'y rendais tôt le matin. Je voyais parfois des agriculteurs qui dormaient dans la paille à côté de leurs vaches car ils étaient extrêmement fatigués, puis ils avaient parfois fait aussi beaucoup la fête. 

Les choses ont changé. Le Salon de 2017 est organisé au moment d’une année électorale et des tensions qui vont avec: il est dans la tristesse après le décès de Xavier Beulin, dans une période où l’agriculture a beaucoup de difficultés économiques… J’ai le sentiment que cette atmosphère de joie de vivre et de convivialité n’est plus tout à fait la même.

"Une fonction merveilleusement passionnante mais extrêmement absorbante"

Être ministre de l’Agriculture est une fonction difficile. L’agriculture connaît toujours des difficultés, dans tel ou tel département: par exemple un insecte qui fait que les arbres fruitiers sont malades, ou la lavande qui se porte mal… Il existe toujours des crises locales. Il y a également cette nécessité d’être sans arrêt à Bruxelles, au Luxembourg et dans les pays européens pour préparer les conseils des ministres de l’agriculture qui se tiennent tous les mois. C’est une fonction merveilleusement passionnante, mais extrêmement absorbante. Certains moments m’ont frappé, comme la dureté des négociations à Bruxelles, lors de nuits entières avec quelques minutes de sommeil. 

Quand vous êtes ministre de l’Agriculture, les agriculteurs vous considèrent comme leur représentant. Lorsqu’on visite une ferme, vous êtes celui dans lequel ils mettent l’espoir de les défendre. On ne représente pas forcément l’Etat ou l’administration. On tisse des relations personnelles, de belles expériences et de belles amitiés perdurent. Les relations humaines sont plus fortes que dans n’importe quel autre ministère".

Propos recueillis par Alexandra Milhat