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Suicide chez les agriculteurs: "Nous sommes moins reconnus que des clochards"

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TEMOIGNAGE - Selon l'Institut de veille sanitaire, chaque année près de 200 agriculteurs se suicident. Un chiffre largement sous-estimé, selon les associations, qui évoquent plutôt 600 suicides chaque année. RMC a rencontré un producteur de lait près de Lorient (Morbihan) qui a failli passer à l'acte il y a un an.

L'agriculture traverse une crise sans précédent. Les cours sont tellement bas, que les agriculteurs, les éleveurs de porcs et de vaches laitières notamment, sont obligés de vendre leur production à perte. De nombreuses exploitations sont menacées de faillite et les agriculteurs sont à bout. De plus en plus d’entre eux appellent à l’aide. Un numéro d’écoute mis en place par la Mutuelle sociale agricole a d’ailleurs reçu l’an dernier plus de 1.200 appels d’agriculteurs en grande détresse.

"Nous sommes moins reconnus que des clochards. On travaille jour et nuit, sans salaire, personne vers qui vous retourner, confirme Jacques Jeffredo, maraîcher dans le Morbihan qui vient en aide aux autres agriculteurs en détresse. Vous savez que de toute façon vous n'y arriverez pas, mais vous êtes obligés de continuer. C'est terrible… Donc certains s'arrêtent avec une solution qui n'est sûrement pas la bonne".

"J'ai passé la corde autour de mon cou…"

Mais combien d’agriculteurs se suicident chaque année? Difficile de le savoir. L’INVS parle de près de 200 suicides par an. Un chiffre largement sous-estimé pour les associations qui parlent, elles, plutôt de 600 suicides chaque année. Le suicide est en tout cas devenu la troisième cause de mortalité chez les agriculteurs derrière les cancers et les maladies cardiovasculaires. Et Louis, producteur de lait près de Lorient (Morbihan) y a fortement pensé il y a un an.

A cette époque, son banquier lui annonce au téléphone que son exploitation est en faillite. "J'ai trait mes vaches le soir et le lendemain je pleurais. Je n'en pouvais plus, se souvient-il aujourd'hui. Pour arrêter toute cette souffrance, le mieux c'est d'en finir. J'ai donc tressé une corde et puis voilà… Je pleurais, je pleurais… Je me la suis passée autour du cou. J'étais bien positionné sous une poutre… Mais ça ce n'est pas fait. Je ne sais pas pourquoi cela ne s'est pas fait mais je ne l'ai pas fait".

"Il n'y a plus de sens au métier"

Ce qui l’a fait sombrer, ce sont les problèmes d’argent mais aussi le manque de reconnaissance, la solitude. "Il n'y a plus de sens au métier, il n'y a plus rien, déplore-t-il. Moi je livre mon lait dans une coopérative laitière. Un camion vient, je ne vois même pas le chauffeur. Je n'ai aucun rapport avec l'industrie laitière. Le paysan n'est qu'un numéro". Louis poursuit, dépité: "Il n'y a aucune écoute de la part de certains de mes collègues. La chambre d'agriculture se fiche de notre situation. Nous sommes seuls".

Un an après, Louis l'assure, il va beaucoup mieux: "Aujourd'hui, j'essaye de me battre. J'ai eu des difficultés, je suis toujours en difficulté économique mais il n'y pas de raison pour que ça ne se relève pas un jour". Et d'assurer: "Quand le paysan va bien, les animaux vont bien et inversement". Depuis le 1er janvier, Louis s’est enfin lancé dans le bio, ce qu’il voulait faire depuis toujours. Il espère obtenir le label d’ici deux ans.

Maxime Ricard avec Marie Regnier