Coup de Gueule: Du bon usage des différentes sortes de psys
Cherchez à prendre rendez-vous avec un psychiatre et vous comprendrez mon propos ! Où que ce soit en France, que le praticien soit privé ou public, un délai de trois à douze mois vous sera proposé, ce qui est dur quand on a des pulsions de suicide.
Pire parfois, le répondeur proclame : «Je ne prends plus de nouveaux patients… si urgence, faites le 15». Autre signe de pénurie : selon le ministère, près de 1 000 postes de praticiens hospitaliers en psychiatrie sont vacants.
Comment en est-on arrivé là ? Elémentaire, mon cher docteur : les psychiatres sont trop rares… augmentons le numerus clausus… pourtant, notre pays en compte plus que partout ailleurs.
En France, ils sont 22 pour 100 000 habitants, en Belgique 18, en Allemagne 11,8, en Italie 9,8, aux Pays-Bas 9 et en Espagne 3,6 (1). Il n’est pas certain que l’état mental de ces pays soit mauvais.
A l’inverse, les psychologues installés sont peu nombreux chez nous, les disparités étant énormes avec des pays pourtant comparables : pour 100 000 habitants, ils sont 5 en France, 51,5 en Allemagne, 28 en Hollande, 32 en Belgique, alors que c’est nous qui en formons le plus grand nombre et que les malheureux se retrouvent au chômage ou dans des métiers improbables vu leur qualification.
C’est donc ailleurs que dans la démographie médicale qu’il faut chercher la raison de ce énième french paradox.
Avec l’Argentine, la France est le seul pays où la psychanalyse reste le modèle dominant en psychiatrie, chez les bobos, les journalistes parisiens, à l’Education nationale. Je ne polémiquerai pas sur la validité de cette approche, d’autres l’ont fait.
Néanmoins, force est de constater que dans les autres pays développés, les thérapies cognitives et comportementales et les neurosciences se sont imposées, leurs psys n’étant pas forcément plus débiles que les nôtres.
Or, dans ces autres approches, les cures ne sont pas sans fin comme en psychanalyse où l’on voit des gens suivis depuis des années, voire des décennies avec des cadences uni, bi, voire tri hebdomadaires. L’encombrement des cabinets de psychiatrie dans les autres pays est donc mécaniquement moins important.
Essayons maintenant de comprendre pourquoi, quand un psychiatre psychothérapeute s’installe, son cabinet se sature très vite et durablement. Si, par exemple, il travaille dix heures par jour, cinq jours par semaine (cinquante heures de travail) en gardant ses patients quarante-cinq minutes et si chaque patient vient deux fois par semaine, avec 33 patients, il est plein et pour longtemps !
Et même s’il ne les voit qu’une fois par semaine, 66 patients le combleront. A ce stade du raisonnement, le lecteur doit se demander en quoi cette situation diffère des autres pays.
Comme partout en Europe, nous avons en France trois sortes de psys : les psychiatres médecins ; les psychologues diplômés d’université ; les psychothérapeutes créés en 2010.
Paradoxalement, bien que ces trois professions aient une existence légale, les soins ne sont remboursés que pour les premiers, ce qui n’est pas le cas ailleurs.
Pour résumer : un soin identique est dispensé par trois corporations différentes mais n’est gratuit (ou presque) que pour une seule. Si j’étais psychologue ou psychothérapeute, je saisirais la Halde pour discrimination !
Et si je voulais pousser le bouchon encore plus loin, je dirais que, selon moi, la psychothérapie proposée par les psychologues et les psychothérapeutes est plutôt meilleure car eux n’ont pas le pouvoir, donc la tentation, de prescrire ou d’interner.
Autre paradoxe : la Sécurité sociale dont le trou est abyssal prend en charge sans sourciller des consultations répétées parfois plusieurs fois par semaine pendant des années et refuse de faire la même chose avec les autres variétés de psys qui pourtant ont des honoraires moins élevés.
Rappelons qu’un rapport de l’Inserm avait globalement réfuté la psychanalyse en tant que soin efficient, ce qui n’a rien changé à la position des organismes de remboursement. Pour ma part, je pense que si la psychanalyse est à la fois une formidable formation et un fantastique voyage philosophique, elle est discutable en tant que traitement stricto sensu et ne saurait être proposée à des gens malades au sens clinique.
Lacan le disait aussi avec son «la guérison vient de surcroît». L’aphorisme «la psychanalyse fait d’autant plus de bien que l’on va bien et d’autant plus de mal que l’on va mal» reste sa meilleure définition.
Pour une fois, ce ne sont pas les psys qui sont fous mais les pouvoirs publics.
Les universités forment à grands frais des psychiatres dont une proportion importante ne fera pas de psychiatrie, ne prescrira pas, ne prendra pas en charge des «vrais» patients psychiatriques, schizophrènes, déprimés, bipolaires, anxieux… alors qu’à l’inverse, des psychologues et des psychothérapeutes également formés à grands frais sont réduits au chômage, les cabinets des premiers étant sursaturés.
Alors, moi, psychiatre, je propose de refiler mon traditionnel entonnoir à nos décideurs ! Puis je tenterai sans trop d’espoir de les traiter en leur prescrivant certains médicaments dont à l’évidence ils ont grand besoin.
Je crains néanmoins que, selon la formule traditionnelle, «leur pronostic ne soit réservé».
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