Double peine pour les marchands d'armes

La France a été condamnée hier jeudi par la cour d’appel de Paris à verser 630 millions d’euros à Taïwan, pour avoir versé des commissions occultes sur la vente des fameuses frégates, en 1991. Les marchands de canons subissent la double peine.
C’est la fin triste et attendue de ce qu’il est convenu d’appeler une affaire d’Etat – parce que, pour une fois, l’Etat est réellement impliqué. Les frégates avaient été construites par la DCN (c’est-à-dire les arsenaux d’Etat) et équipées et vendues par Thomson, qui était une entreprise publique, et qui est devenu Thales aujourd’hui. Donc résultat : l’Etat et Thales partageront les frais – l’Etat, c’est nous, les contribuables. Mais ce qu’il y a de plus douloureux, dans cette condamnation, c’est qu’elle frappe une industrie de l’armement qui n’est plus du tout florissante et qui peut légitimement se dire que la lutte contre la corruption, qui est une juste cause, a plombé ses résultats – et notre commerce extérieur avec. Nos marchands de canons sont devenus… des boulets !
Cela signifie que l’interdiction des pots-de-vin a nui aux ventes d’armes ? Est-ce qu’il faut vraiment s’en désoler ?
Ce n’est pas une question morale. Vendre de l’armement n’est pas en soi immoral : tout dépend à quoi servent ces armes. Quand nos avions servent à aider la révolution libyenne ou à bombarder l’Irak, est-ce que c’est mal ? L’industrie militaire a longtemps été une spécialité française florissante, qui a créé des milliers d’emplois et rapporté des fortunes. Et puis en 2000, la France a ratifié la convention de l’OCDE qui interdit toute commission à l’étranger. Depuis, la France a perdu énormément de terrain dans ce domaine. Ça ne veut pas (seulement) dire qu’avant, les Français versaient des pots-de-vin dans les pays arabes, en Afrique et ailleurs ; ça veut surtout dire qu’aujourd’hui, d’autres pays font ce que nous ne faisons plus : la Chine, la Russie, qui n’ont pas signé la convention. Et Taiwan non plus, d’ailleurs…
Mais la vente des frégates remonte à 1991, donc bien avant cette nouvelle règle. Alors pourquoi la France est condamnée ?
Avant la convention OCDE, il était souvent écrit dans les contrats d’armement qu’aucune commission ne serait versée. C’était une hypocrisie totale mais c’était fait pour protéger les signataires des contrats dans les pays où les armes étaient livrées. Dans la vente des frégates, il y avait cette clause mais les Taïwanais savaient évidemment qu’il y avait quand même des commissions puisqu’une partie a été versée à des dirigeants (militaires et politiques) taïwanais. Il n’empêche que c’est sur ce point que la France a été condamnée, après dix ans de procédure – et deux changements de régime à Taïwan.
La question qui reste en suspens, c’est celle de versements qui auraient bénéficié à des personnalités françaises, ou à des partis politiques. Est-ce qu’on le saura un jour ?
Non. Et contrairement à une idée reçue, ce n’est pas à cause du secret défense. Il n’existe aucun document, aucune liste qu’un ministre cacherait dans son coffre et qui recenserait les bénéficiaires des pots-de-vin. Il faut rappeler aussi que toute cette affaire n’a existé que parce que les dirigeants de Thomson, en 1997, ont saisi la justice parce que précisément, ils refusaient de verser de l’argent à la maîtresse de Roland Dumas. A l’arrivée, il n’y a plus d’enquête pénale, la France va payer l’amende, on ne vend plus de frégates. Si l’objectif était de moraliser, c’est plutôt… démoralisant.
Ecoutez «le parti pris» de ce Vendredi 10 juin 2011 avec Hervé Gattegno et Jean-Jacques Bourdin sur RMC :
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