Emmanuel Macron et les socialistes ne sont pas faits pour s'entendre
Hervé Gattegno s'est penché sur les récentes sorties d'Emmanuel Macron, dont celles portant sur le statut des fonctionnaires. Il qualifie les propos du ministre de l'Economie de "politiquement suicidaires".
Les députés socialistes ont réservé un accueil glacial à Emmanuel Macron, hier, lors de leur séminaire de rentrée, après sa sortie sur le statut des fonctionnaires. Manuel Valls a dû une nouvelle fois voler à son secours. Votre parti pris : Macron et les socialistes ne sont pas faits pour s’entendre. Qu’est-ce qui vous fait dire cela?
Ce qui est étonnant, c’est qu’on s’en étonne. Il y a eu un tollé quand on a su qu’Emmanuel Macron n’a pas sa carte du PS. Puis quand il a préféré aller au Medef qu’à l’université d’été du PS. Rien de tout cela n’est surprenant. Sur le fond, Emmanuel Macron assure qu’il a des convictions de gauche – il n’y a pas de raison d’en douter. Mais chacune de ses sorties met le PS en transe et le gouvernement dans l’embarras – on l’a vu sur le statut des fonctionnaires comme sur les 35h. Et ça se termine toujours dans la confusion, parce que Hollande et Valls le rectifient tout en lui apportant leur soutien. S’il est censé joué un rôle d’éclaireur, il n’éclaire pas grand chose.
Mais est-ce que c’est forcément lui qui a tort, s’il se heurte aux réticences des élus socialistes? Est-ce que ce n’est pas la capacité à réformer qui est en jeu?
Qu’il y ait des conservatismes chez les députés socialistes, ce n’est pas un scoop – mais ils n’ont pas le monopole. Cela dit, ce n’est pas non plus parce qu’il dérange la majorité qu’il a forcément raison. Ce qui est frappant, dans le cas d’Emmanuel Macron, c’est que sa seule légitimité procède du président de la République qui l’a nommé, mais qu’il n’a jamais réussi à convaincre sa majorité – si bien qu’il a fallu que Manuel Valls fasse jouer le 49.3 pour faire passer ses textes en force. Ça veut dire que plus Macron prétend déverrouiller l’économie, plus Manuel Valls verrouille… le PS.
Le dernier exemple en date, qui a fait grincer des dents au PS, c’est l’affaire du statut des fonctionnaires, qu’Emmanuel Macron a jugé "inadapté au monde tel qu’il va". C’est vraiment un sacrilège ?
C’est pire : c’est une insinuation politiquement suicidaire dans la mesure où la fonction publique fournit des bataillons d’électeurs au PS. Peut-être qu’Emmanuel Macron pense cela – il a travaillé dans une banque d’affaires sans perdre son statut de haut-fonctionnaire… Il aurait peut-être dû y renoncer. Il reste qu’il ne peut pas prétendre réformer la fonction publique comme il a ouvert des lignes d’autocar : il faut un consensus national pour y arriver, ça ne peut passer que par une campagne électorale – ou un référendum. Et surtout, il faut que ça ait un intérêt. Or le gouvernement a trois problèmes : le chômage, la défiance de son électorat, les divisions de la gauche. S’en prendre au statut des fonctionnaires n’en résout aucun. Au contraire.
Malgré tout cela, Emmanuel Macron est l’un des ministres les plus populaires du gouvernement. Vous pensez que ça le rend intouchable ?
C’est le ministre de gauche préféré des électeurs de droite – comme A. Juppé est le leader de droite préféré de la gauche. Ce qui le protège, c’est qu’il incarne le cap social-libéral de François Hollande. Là où Montebourg était accusé de dissidence, on ne reproche à Macron qu’une dissonance – il s’en sort avec des rappels à l’ordre. Ce qu’il incarne en fait, c’est le fantasme du gouvernement des experts : ceux qui ne sont pas élus mais qui savent ; ceux qui savent mieux parce qu’ils ne sont pas élus. Ça s’appelle en réalité la technocratie. Jean-Christophe Cambadélis veut ressouder la gauche avec un référendum sur les régionales. S’il en faisait un sur les idées de Macron, on verrait qu’il est plus consensuel qu’on ne le dit : le consensus se ferait… contre lui.
Hervé GATTEGNO