Et si on regrettait Berlusconi ?

Silvio Berlusconi quittera bientôt le pouvoir après 16 ans de domination sur la droite italienne et trois passages à la tête du gouvernement. Et si on regrettait rapidement le Cavaliere ?
Evidemment, on pourrait dire que les bouffonneries de Berlusconi vont nous manquer, ses provocations – parfois odieuses – son culot. Il y a 15 ans, il avait quelque chose d’inquiétant : un affairiste richissime, qui contrôlait les grands medias de son pays et gagnait les élections à coups de slogans populistes… Aujourd’hui, c’est un personnage ridicule – plus près d’Aldo Maccione que de Mastroiani. Il n’empêche que les italiens sont loin de le détester et surtout, il faut dire qu’après Papandreou, il fait un bouc émissaire assez commode pour les dirigeants européens qui ne savent plus comment prouver aux marchés financiers et aux agences de notation qu’ils vont se montrer bons élèves. Berlusconi, c’est le cancre. Quand le cancre s’en va, toute la classe se demande qui va prendre sa place au dernier rang.
Peut-on aller jusqu’à dire que le jugement qui est porté sur Berlusconi est injuste ?
Sur sa personne, certainement pas. C’est un homme qui s’est approprié le pouvoir pour servir ses intérêts personnels, il a fait changer les lois pour échapper à la justice et sur le plan privé, on a compris que le Cavaliere a des manières plutôt… cavalières. Mais on est obligé d’admettre que si l’Italie est dans une situation catastrophique, ce n’est pas d’abord à lui qu’elle le doit. La dette faramineuse de ce pays – 120% du PIB – a été creusée pour l’essentiel dans les années 70 et 80, sous des gouvernements de droite et de gauche qui, par leurs errements et leurs compromissions – sans oublier leurs liens avec la mafia – ont fait le lit de Berlusconi. Sans la dette, le budget n’est pas en déficit et l’économie est assez vigoureuse, même sans tenir compte de l’économie parallèle.
Pourquoi son départ est-il devenu une condition indispensable pour que l’Italie puisse se redresser ?
C’est le point le plus troublant. C’est entendu, Berlusconi n’a pas fait les réformes économiques, fiscales, sociales, qui s’imposaient. Mais dès lors que les résultats de l’Italie ne sont pas si mauvais, ce qui explique cette focalisation sur lui (qui a culminé avec le conseil européen de la semaine dernière), c’est son style, ses écarts de conduite, sa perte d’autorité. Autrement dit, la chute de Berlusconi montre que les marchés n’ont plus seulement le pouvoir d’apprécier les situations économiques, mais aussi les choix politiques – on l’avait compris – et désormais, donc, de porter un jugement moral sur les dirigeants des pays. Quoi qu’on pense de cette caricature qu’est devenu Berlusconi, il n’est pas certain qu’il faille s’en féliciter…
Aurait-il mieux valu que ce soient les Italiens qui le fassent partir
Bien sûr. Et c’est sans doute ce qui se serait passé – mais la pression du monde économique, du patronat, des banques, de l’Europe, du FMI s’est exercée pour qu’on n’ait pas à attendre jusque là. Personne n’a voulu courir le risque que Berlusconi, dans un de ces coups dont il a le secret, retourne la tendance. D’ailleurs, rien ne dit qu’il n’essaiera pas in extremis de se représenter. En tout cas, l’annonce de son départ n’a pas suffi à rassurer, puisque dès hier les bourses ont replongé. Résultat : l’Italie s’est refait une vertu, mais pas encore une santé. Et Berlusconi, pour avoir vécu dans l’immoralité, aura eu une fin (un peu) immorale.
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