"Expliquez-nous": la police française est-elle raciste?

La police française peut elle être taxée de racisme ? La question se pose au lendemain de la manifestation qui a rassemblé 20.000 personnes demandant la vérité sur l’affaire Adama Traoré.
Mercredi, le ministre de l'Intérieur a indiqué que chaque faute de la police doit être sanctionnée. Et c’est un discours très nouveau de la part de Christophe Castaner. Mardi à l’Assemblée, il contestait encore toute forme de racisme au sein de la police. Mercredi, il s’est montré moins affirmatif devant les sénateurs : la police, a-t-il dit, peut faire des erreurs. "Chaque fait, chaque mot doit faire l'objet d'enquêtes et de sanctions".
Une façon de calmer le jeu après la manifestation de mardi devant le palais de justice de Paris et alors que l’émotion est mondiale après la mort de George Floyd aux Etats-Unis.
Le contrôle au faciès
Ce que l’on reproche le plus souvent aux policiers, se sont les contrôles au faciès. C’est ce que la chanteuse Camélia Jordana avait dénoncé, il y a 10 jours à la télévision, chez Laurent Ruquier. Elle disait avoir peur de la police lors des contrôles.
Le défenseur des droits Jacques Toubon, vient de publier un rapport sur une enquête menée par ses services. Il s’agit d’une bande de 18 jeunes garçons et filles tous d’origines étrangères, qui se plaignaient d’un groupe de policiers dans le 12e arrondissement de Paris.
Ces policiers multipliaient les contrôles, les fouilles au corps, les insultes : "sales noirs", "sale libanais de merde"… Les jeunes denonçaient des passages à tabac au commissariat. Finalement trois policiers ont été jugés et condamnés à des peines de prison avec sursis.
Le défenseur des droits a estimé que dans cette affaire, les policiers agissaient sur ordre pour mettre fin à des trafics, à des tapages, à des nuisances pour les riverains. Mais que le caractère systématique et abusif des contrôles apparaissait comme du harcèlement en raison de l’origine. Autrement dit, du racisme.
Un racisme très difficile à mesurer et à prouver
La cour de cassation a rendu en 2016, un arrêt important. Elle a jugé qu’on pouvait inverser la charge de la preuve. Ce n’est pas à celui qui est contrôlé de prouver qu’il l'a été parce qu’il est noir ou arabe, c’est aux policiers de prouver qu’ils ne l’ont pas contrôlé pour la couleur de sa peau.
La cour de cassation était notamment saisie par un groupe d’amis, français d’origines arabes, qui se trouvaient sur la terrasse d’un McDo. Tous les autres clients étaient blancs et n’avaient pas été contrôlés. Et ces clients avaient témoigné en faveur des trois amis maghrébins. Les policiers n’ont pas pu se justifier. La justice leur a donné tort. Et la cour de cassation a estimé que c’était une faute lourde de l’Etat qui méritait une réparation. C’était la reconnaissance par la justice du préjudice dû aux contrôles abusifs et racistes.
L'affaire Adama Traoré au coeur des esprits
Aujourd’hui, c’est l’affaire Adama Traoré qui symbolise le supposé racisme des forces de l’ordre. Une affaire symbolique mais compliquée. En tout cas elle n’a pas été tranchée par la justice.
Adama Traoré avait 24 ans quand il est mort dans l’Oise en 2016. Ce n’est pas un contrôle d’identité qui a mal tourné. Les gendarmes étaient venus interpeller son frère à la demande d’un magistrat. Adama Traoré qui était là a pris la fuite. Il a été rattrapé une première fois, s’est débattu, a reçu l’aide d’un copain et repris la fuite. Finalement il s’est réfugié dans appartement du rez-de-chaussée et caché sous une couverture.
Les gendarmes l’ont retrouvé, menotté et embarqué dans une voiture. A l’arrivé a la caserne, deux minutes plus tard, il avait perdu connaissance. Et les pompiers n’ont pas pu le réanimer.
Les faits beaucoup moins clairs qu'à Minneapolis
Depuis 4 ans. Deux versions s’opposent. La famille affirme qu’il est mort asphyxié, victime d’un plaquage ventral sous le poids de trois gendarmes. Les gendarmes démentent avoir pratiqué ce plaquage ventral, qui ne fait pas partie de leur procédure. Il contestent voir porté le moindre coup, et l’autopsie n’en a effectivement pas trouvé la trace. Ils refusent les accusations de racisme en précisant que trois gendarmes du dispositif étaient noirs.
Trois rapports médicaux commandés par les juges d’instruction ont plutôt exonéré les gendarmes. Un dernier rapport commandé par la famille vient au contraire d'affirmer que le plaquage ventral était la cause la mort.
On en est là. Les gendarmes n’ont pas été mis en examen mais ils sont “témoins assistés”, soupçonnés de non-assistance à personne en danger. Pas de violences volontaires.
Mercredi le directeur de la gendarmerie nationale est sorti de son silence pour dénoncer les amalgames et s’insurger que l’on puisse comparer les circonstances de la mort d’Adama Traoré à celle de George Floyd aux Etats-Unis.
Il n'empêche que c’est bien ce que souhaite la famille et le comité de soutien, et ce qu’ils sont en train de réussir: que l’affaire Traoré devienne l’équivalent français de l’affaire américaine. Et le symbole de la violence policière. Même si les faits sont beaucoup moins clairs qu'à Minneapolis.
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