"Expliquez-nous": pourquoi le nouveau ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, fait-il tant parler?

La nomination d’Eric Dupond-Moretti, comme Garde des Sceaux, a créé un choc dans le monde de la justice. Nicolas Poincaré fait son portrait.
Il y a une semaine encore, que faisait Eric Dupond-Moretti portait plainte contre des magistrats. Ceux du Parquet National Financier accusés d’avoir épluché ses relevés téléphoniques et de l’avoir géolocalisé, en douce, et pendant 10 jours. L'avocat a donc porté plainte pour "violation de l’intimité de la vie privé” mais il a surtout fait des commentaires tonitruants. Il a parlé des “méthodes de Barbouzes". Il a aussi dénoncé "la République des juges, la clique des juges qui s’autorisent tout". Et il a conclu en disant: "On est chez les dingues".
Et moins d’une semaine plus tard, le voici donc "chef des dingues". Il va prendre possession ce mardi de son bureau place Vendôme et ça risque de tanguer. Le ministère de la Justice est un univers ultra-policé, où l’on est très sensible aux honneurs et aux décorations. Eric Dupond-Moretti, lui, a refusé la Légion d'honneur en disant que c'était le symbole du "copinage politique malsain".
Un magistrat du parquet financier a confié lundi soir à l’hebdomadaire Marianne qu’il avait l’impression de vivre un cauchemar éveillé.
Que reproche le nouveau ministre aux magistrats ?
Il n’aime pas leur corporatisme, leur carriérisme, leur docilité face au pouvoir. Il dénonce un système déséquilibré. Les juges et les procureurs sont formés à la même école. L’Ecole supérieure de la magistrature à Bordeaux. Et Eric Dupond-Moretti demande donc la fermeture de cette école. Ou plutôt il demandait car maintenant qui est ministre de la Justice il va peut-être mettre de l’eau dans son vin.
Il déteste aussi l’idée qu’un jeune magistrat à peine sortie d’école puisse se retrouver juge d’instruction à moins de 25 ans, sans aucune expérience de la vie. Il l’a vécu dans l’affaire d’Outreau, ou le jeune juge Burgaud avait détruit la vie de 14 innocents, accusés à tort de pédophilie.
De leur côté, les magistrats lui reprochent ses excès, sa grossièreté et ses insultes. On le surnomme l’ogre. Il peut faire peur physiquement. Je l’ai vu hurler dans les oreilles du fameux juge Burgaud de l’affaire d’Outreau. Le jeune juge devait s'accrocher à la barre des témoins et à la fin, totalement sonné, il faisait d'incroyables fautes de Français.
Je l’ai vu aussi face à Jacques Melik, qui était ministre de François Mitterrand et maire de Béthune dans le Pas-de-Calais, et qui avait fait un faux témoignage dans l’affaire OM-VA. À l’audience à Béthune, Dupond-Moretti l’a traité de “mafieux” en collant son visage contre le sien. Toute la salle retenait sa respiration.
Il est aussi capable de provoquer un gendarme à qui il reproche d’avoir posé des questions trop intimes à son client pendant la garde à vue. Et Dupond-Moretti lui demande à l’audience: "Et vous, mon commandant, vous faite l’amour combien de fois par semaine ?"
Il n’a pas peur de la violence verbale. Il l’utilise lorsqu’il est sincèrement en colère, ou bien lorsqu’il pense que cela sert les intérêts de la défense. Il a l’image du défenseur des “petits” mais ces dernières années sa clientèle s’est considérablement élargie. Il a défendu ce qu’il appelle “les gitans, les humbles, les paumés, ceux qui dérapent, ceux qui chutent”. Il a obtenu, on le sait un nombre incalculable d'acquittements, parfois pour des hommes condamnés en première instance à la perpétuité. Il a longtemps exercé au barreau de Lille, puisque c’est un Ch'ti, fils d’une femme de ménage italienne et orphelin de père.
Mais depuis qu’il a quitté Lille pour s'installer dans les quartiers chics de Paris, sa clientèle effectivement a beaucoup changé. C’est l’avocat préféré du roi du Maroc. Le défenseur de Patrick Balkany et de Jérôme Cahuzac. Il a également défendu le frère et complice du terroriste Mohamed Merah.
Il défend aussi le jeune Théo victime de violences policières et en même temps les policiers que Jean-Luc Mélenchon avaient bousculé lors d’une fameuse perquisition. Bref, il ratisse large et son cabinet marche très bien.
Politiquement, il se situe où?
Il est très à gauche. Certainement le plus à gauche de ce gouvernement. Il a présidé en 2008 le comité de soutien à Martine Aubry à Lille. Il s’est défini comme un anar'. Ce qui est assez rare, chez les ministres. Mais un anar qui aime l’ordre.
Marine Le Pen a dénoncé lundi soir la nomination d’un ministre de la Justice d'extrême gauche. Il est vrai qu’il avait demandé il y a 5 ans, l’interdiction du Front national. Il en avait parlé comme d’une petite entreprise raciste, "où le père, Jean-Marie s’occupait des Juifs, pendant que la fille s’occupait des musulmans". Ca promet lorsque la députée Marine le Pen interrogera le garde des Sceaux à l’Assemblée.
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