"Expliquez-nous": pourquoi Marine Le Pen a-t-elle choisi d'aller sur l'île de Sein pour commémorer l'Appel du 18 Juin?

Marine Le Pen avait annoncé qu’elle se rendrait sur l'île de Sein pour célébrer les 80 ans de l’appel du 18 juin du général de Gaulle. Mais cette visite a tourné au vinaigre. Un revirement spectaculaire puisque son parti c’est construit sur l’anti-gaullisme. Alors, pourquoi a-t-elle choisi l'île de Sein? Explications.
Alors que son déplacement sur l'île bretonne était prévu aujourd'hui, pour commémorer les 80 ans de l'appel du 18 juin du général de Gaulle, la présidente du Rassemblement National s'est finalement rendue sur l'Ile de Sein mercredi. Une arrivée en catimini: venue via une grosse vedette, elle est restée deux heures sur place. L'annonce de sa venue sur l'île pour ce 18 juin avait créé la polémique, le maire de Sein s'était exprimée contre sa venue.
Cette petite île du Finistère, au large de la Pointe du Raz, fait partie de la légende Gaulliste. En Juin 1940, une centaine de marins de l'île ont décidé de rejoindre le général de Gaulle en Angleterre sur leurs petits bateaux de pêche. Ils ont atteint Plymouth, et ils ont ensuite formé l’embryon de la future marine nationale des forces françaises libres. C’était vraiment les tout premiers gaullistes.
Avaient-ils entendu l'appel du 18 juin?
Presque personne n’a entendu cet appel du général de Gaulle sur les ondes de la BBC. De Gaulle était arrivé à Londres la veille le 17 juin. Pétain venait de déclarer qu’il allait signer l’Armistice avec les nazis. Churchill, le Premier ministre anglais, avait tout de suite reçu de Gaulle et l’avait autorisé à utiliser la BBC le lendemain. Le 18 juin, il lance son appel. L’histoire retiendra qu’il a dit: "Nous avons perdu une bataille mais nous n’avons pas perdu la guerre". Or, il n’a pas dit cela du tout.
C’est une phrase qu’il prononcera bien plus tard. Le 18 juin, de Gaulle a simplement appelé tous les Français se trouvant en Angleterre, civils ou militaires, avec ou sans arme, à le rejoindre pour poursuivre le combat contre l’Allemagne.
Un appel entendu par une femme à Saint-Brieuc
Cet appel n’a pas été enregistré. Il n’en reste aucune trace. Mais il a été entendu en Bretagne par une femme: Madame Le Gall.
A Saint-Brieuc, elle entend l’appel de ce général qu’elle ne connaît pas. Elle en parle a son fils de 19 ans, Jacques, qui décide aussitôt de rejoindre l’Angleterre avec son jeune frère de 17 ans.
19 et 17 ans, c’était de gamins. Mais ils trouvent un bateau de pêcheur pour l’île de Sein, un autre pour Ouessant, puis ils rejoignent l'Angleterre. Jacques rencontrera le général de Gaulle le 6 juillet. Il s’engage dans les forces françaises libres et en 1945, il finira commandant d’un sous-marin, le Doris.
Aujourd’hui, Jacques Le Gall a 99 ans. Il a appris ce jeudi que Marine Le Pen allait venir à l'île de Sein, là où tout a commencé pour lui.
Dans Le Télégramme de Brest, il se dit “outré”. il trouve “lamentable” que le Rassemblement national fasse un coup de com' sur la mémoire de ceux qui ont choisi à l’époque le camps de la liberté.
Un coup de com, et surtout un revirement spectaculaire de la part de Marine Le Pen
Le père de Marine Le Pen a créé le Front national en 1972 sur la base de l’anti-gaullisme. Ce qui rassemblait les fondateurs, anciens collabos vichystes et anciens membre de l’OAS, c’est-à-dire de ce mouvement terroriste, partisan de l'Algérie française, c’était la haine du général de Gaulle.
Dans ses mémoires en 2018, Jean-Marie Le Pen écrit encore que de Gaulle, reste une horrible source de souffrance pour la France. Il parle de l'Algérie. Et sur le 18 juin, il estime que Pétain a eu raison de signer l’Armistice.
Jean-Marie Le Pen n’a donc jamais varié. Il a choisi Pétain contre de Gaulle. Il déteste le Général. Il a même envisagé d’organiser l’évasion de Bastien Thierry, l’organisateur de l’attentat du Petit Clamart contre de Gaulle. L’évasion n’a pas eu lieu. Bastien Thierry a été exécuté.
Comment Marine Le Pen se situe-t-elle par rapport au Gaullisme?
Soudainement, elle est devenue plus gaulliste que les gaullistes. Dans une interview la semaine dernière, elle a parlé, d’un “grand homme” et estimé que le Rassemblement national s’inscrivait dans sa continuité. Ce qui est une négation de l’histoire de son parti. Un bras d’honneur à son père et à tous les amis de son père.
Mais c’est aussi un changement de pied par rapport a ce qu’elle a elle-même toujours dit. En 2014, elle rappelle que le Front national n’était pas un parti gaulliste. Et elle disait que jamais, elle n’irait sur sa tombe, par respect pour les pieds noirs et les harkis que le général de Gaulle a abandonné de façon criminelle.
C’est pour cela qu’elle n’ira pas sur sa tombe à Colombey-les-Deux-Eglises, mais à l'île de Sein, là où son appel du 18 juin a été entendu. Jean-Marie le Pen, à presque 92 ans, doit être fou de rage. Jacques Le Gall, 99 ans, est furieux lui aussi.
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