Films, statues... Doit-on épurer au nom de l'anti-racisme?

Une vive polémique a éclaté mercredi autour du film "Autant en emporte le vent" retiré provisoirement d'un catalogue des film à la demande dans un contexte de tensions autour des questions racistes.
Le film Autant en emporte le vent provisoirement retiré par la plateforme de streaming de HBO aux Etats-Unis. Dans le contexte du mouvement anti-raciste provoqué par la mort de George Floyd, on reproche à ce film de véhiculer des préjugés racistes.
Et c’est vrai ! Autant en emporte le vent, c’est un livre où un personnage dit que “les nègres sont des singes” ! C’est un livre et un film qui présente une vision romantique de l’esclavage. Scarlet O’Hara, l'héroïne, est une riche propriétaire du sud. Sa famille exploite des esclaves. Des esclaves loyaux, heureux de leur sort, et qui vont choisir la fidélité à leur maître plutôt que la liberté lorsque les sudistes vont perdre la guerre.
Ecrit et réalisé dans une Amérique ségrégationniste qui ne correspond plus du tout à notre regard d’aujourd’hui
Margaret Mitchell, l’auteure du best seller s’est inspirée de la vraie vie de sa grand mère, elle en a fait en 1936, un roman de plus de 1.000 pages, son unique roman. Il est devenu 3 ans plus tard, un film de 4 heures qui a rapporté le plus d’argent de toute l’histoire du cinéma.
Il a reçu 8 oscars, dont un pour Hattie Madison, la première actrice noire a recevoir un oscar. Sauf que le jour de la cérémonie elle n’a pas eu le droit de s'asseoir avec Vivien Leigh et Clark Gable. Elle a dû rester au fond de la salle parce qu’elle était noire.
C’est un film et un livre des années 1930, écrit et réalisé dans une Amérique ségrégationniste qui ne correspond plus du tout à notre regard d’aujourd’hui sur le crime contre l’humanité qu’a été l’esclavage.
Faut-il pour autant censurer le film?
A mon avis, non ! C’est absurde. Il fait partie de l’histoire du cinéma, de l’histoire de la littérature de l’histoire américaine. Mais en réalité, il n’est pas censuré ! HBO le retire simplement provisoirement de sa plateforme le temps de rédiger un avertissement. Comme on met une préface d’avertissement au début des livres antisémite de Céline, par exemple.
“Autant en emporte le vent” reste visible sur plusieurs autres plateformes. Et grâce à ce coup de projecteur, le livre est en tête des ventes sur Amazon. On ne peut pas dire que l’oeuvre soit en danger.
L’agonie de George Floyd a entrainé une vaste introspection et remise en question
C’est surtout révélateur d’un immense mouvement qui a suivit la mort de George Floyd. C’est une lame de fond anti-raciste qui déferle sur l’Amérique. Toute les marques publient actuellement des communiqués pour défendre les valeurs du mouvement “Black Lives matter”, ("la vie des noirs compte").
La productrice de la série Friends s’excuse parce qu’il n’y avait pas de noirs dans la célèbre coloc. Adidas, promet d’embaucher 30% de POC à l’avenir. POC c’est “Person of color”, une personne de couleur. C’est l’expression la plus utilisée désormais.
L'Oréal s’excuse d’avoir viré il y a trois ans une égérie noire parce qu’elle était trop véhémente sur la question de l’anti-racisme. Elle vient d'être ré-embauchée comme mannequin et comme conseillère “diversité”.
Les auteurs d’un célèbre dictionnaire, interpellés par une universitaire, ont accepté de revoir leur définition du racisme pour introduire la notion que c’est un groupe de gens qui fait l’objet d’une oppression systématique. Et les éditeurs du dictionnaire se sont excusés de ne pas avoir défini plus tôt le racisme comme une oppression.
Il se passe quelque chose actuellement aux Etats-Unis. L’agonie de George Floyd a entraîné une vaste introspection et remise en question. Ca va beaucoup plus loin que la censure provisoire d’Autant en emporte le vent.”
Ce mouvement atteint aussi l’Europe
Dimanche dernier, à Bristol en Angleterre, on a déboulonné et jeté à la rivière une statue en bronze, représentant Edward Colston. Un marchand d’esclaves du 17e siècle qui a fait fortune en transportant 80.000 esclaves de l’Afrique vers l’Amérique.
Le maire de Bristol qui est d’origine Jamaïcaine veut maintenant repêcher la statue pour la mettre dans un musée avec l’histoire complète, et les banderoles de ceux qui l'ont déboulonné le week end dernier.
En Belgique, on a recouvert de peinture rouge-sang des statues du roi Léopold II, terrible colonisateur du Congo belge. Les historiens estiment que sa politique a fait 10 millions de morts au début du XXe siecle. C’est pour cela que certains veulent interdire l’album de “Tintin au Congo”. Non pas parce que la BD est simplement raciste, mais parce que l'histoire se passe au Congo, le pays d’Afrique qui a le plus souffert de la colonisation.
Quid de Jules Ferry?
En France on va de nouveau se poser des questions sur des noms de rues ou de lycées. Par exemple les très nombreux lycée Jules Ferry, du nom du promoteur de l’école moderne, laïc et obligatoire. Grand ministre de l'éducation mais aussi grand partisan de la colonisation et auteur de propos sur la supériorité de la race blanche.
L’historien Pascal Blanchard, incontestable spécialiste de la question suggère que l’on ne débaptise pas ces lycées, que l’on ne déboulonne pas les statues. Mais que les élèves des lycées Jules Ferry sachent qui il était.
Pareil pour Autant en emporte le vent. C’est absurde d’interdir le film. Mais ce n’est pas bête de raconter son histoire.
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