Impôt sur le revenu: "Quand certains paient de plus en plus cher, d’autres paient de moins en moins"

Selon les chiffres de l’administration fiscale, six Français sur dix ne paient plus l’impôt sur le revenu, un record depuis les années 1950. Un vrai danger pour la cohésion sociale selon Agnès Verdier-Molinié. Directrice de la Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques (Ifrap), elle milite pour une meilleure répartition de l’effort fiscal.
Agnès Verdier-Molinié est directrice de la fondation Ifrap, un thinh-thank d’inspiration libérale.
"C’est assez inquiétant de voir à quel point il y a une baisse du nombre de foyers fiscaux en pourcentage. Rappelons qu’en 2013, on arrivait à 52% des ménages qui payaient l’impôt sur le revenu. Et maintenant on est tombé à 42,79%, c’est très faible. Si on remonte au début des années 2000, on était à 48%. On a eu quand même en 2009 seulement 43% des ménages qui étaient imposables, mais c’était complètement lié à la crise. Là, il n’y a pas de raison, si ce n’est que François Hollande a fait sortir des foyers fiscaux de l’impôt, en supprimant la première tranche du barème et en changeant les calculs de la décote.
"10% des foyers avec les revenus les plus conséquents paient 70% de l’impôt sur le revenu"
Résultat, on se retrouve dans une situation où l’impôt est de plus en plus concentré. Il faut savoir que les 10% des foyers avec les revenus les plus conséquents paient 70% de l’impôt sur le revenu. Ce qui est tout à fait paradoxal, c’est que dans la même période où on baissait le nombre de foyers fiscaux qui payaient l’impôt, on a augmenté la recette de l’impôt sur le revenu.
A un moment, il faut se poser la question: est-ce que c’est cohérent, pour la cohésion de la société? Je pense que c’est quelque chose de négatif, parce que ça dissocie la question de l'impôt de celle de la dépense publique. On était à 55 milliards de recettes en 2006, aujourd’hui on est autour de 75. La courbe du nombre de foyers imposés et la courbe de la recette se sont croisées. Quand certains paient de plus en plus cher, d’autres paient de moins en moins.
"Cela peut aussi dégoûter ceux qui sont très imposés de rester en France"
L’idée n’est pas d’opposer ceux qui paient et ceux qui ne paient plus. Mais il faut se méfier d’une vision de la fiscalité qui devient hyper-progressive. Il n’y a pas tellement d’équité. On est séparé en deux camps: ceux qui paient de plus en plus et ceux qui paient de moins en moins. Faire peser l’impôt sur de moins en moins de foyers, ça peut aussi dégoûter ceux qui sont très imposés de rester en France. Ça peut leur donner envie de partir en Belgique, en Suisse ou ailleurs. Et d’ailleurs les chiffres de Bercy sont éloquents. Il n’y a pas uniquement des foyers payant l’ISF qui partent, mais aussi des foyers qui tout simplement doivent payer un impôt sur le revenu important.
Commencer à imposer dès le premier euro de revenu avec un barème très faible, et un montant minimum, ça se passe dans beaucoup de pays européens. Vous avez un lien qui se fait ensuite dans les consciences des citoyens sur le fait que la dépense publique n’est pas financée par une manne qui tombe du ciel. C’est l’impôt de tous les Français. Certains diront que la CSG est payée par tout le monde et que c’est comme un impôt sur le revenu. Mais c’est un peu hypocrite, parce que la CSG ne finance que le social, pas l’Etat. Ce ne sont pas les mêmes poches: l’éducation n’est pas financée par la CSG. On risque à terme de fracturer la société.
"Inclure dans les revenus imposables les revenus issus de la redistribution"
Nous à l'Ifrap, on propose de remettre une tranche de l’impôt encore plus faible que les 5,5% qui existait avant, avec cette idée d’impôt symbolique. Mais aussi d’inclure dans les revenus imposables les revenus issus de la redistribution: les APL, le RSA, les allocations familiales… Il y a quelque chose d’incohérent à taxer de plus en plus les revenus du travail et ne pas taxer du tout les revenus issus de la solidarité.
Dans les pays anglo-saxons ou scandinaves, vous rentrez beaucoup plus vite dans l’impôt. Donc vous avez un lien très fort dans les consciences politiques entre l’impôt qu’ils paient et les services publics mis en place. Si on construit une piscine dans une collectivité qui est trop petite, ça n’a pas d’intérêt, ils ne vont pas être pour. Alors que si vous êtes dans la situation d’un ménage qui ne paie pas d’impôt sur le revenu, qui ne paie pas la taxe d’habitation et qui vit des revenus de la redistribution, vous allez avoir tendance à avoir une très faible conscience du lien entre les coûts des services publics, leur efficacité et la pression fiscale".