Interview exclusive de Florence Cassez par Jean-Jacques Bourdin
Depuis la prison de Tepepan au cœur de Mexico, Florence Cassez a appelé Jean-Jacques Bourdin.
Condamnée à 60 ans de prison pour complicité d'enlèvement, elle y est incarcérée depuis 2005.
L'interview poignante, d'une femme qui se bat pour que son innocence soit reconnue :
JJB : Vous êtes dans votre prison à Tepepan, au cœur de Mexico. C’est une grande prison, Florence ?
FC : Non c’est une prison à taille humaine. On est à peu près 270 détenus. Je suis dans un des couloirs, le couloir central où il y a des téléphones muraux et je vous appelle d'un de ces téléphones. Les téléphones sont à disposition des détenus. Mais dans ce couloir, qui est l’unique couloir commun de tous les dortoirs, il ya 5 téléphones. Vous imaginez : 5 téléphones pour 270 détenus, il faut faire la queue et minimiser le temps d’appel. Ça devient très difficile de passer des coups de fil.
JJB : Vous êtes seule dans votre cellule ?
FC : Oui, j’ai un traitement spécial. J’ai une petite cellule, avec de gros barreaux aux fenêtres… je suis la seule à avoir cet aménagement dans ma cellule avec des caméras également à la sortie de ma cellule. C’est 4 murs, un encadrement de porte sans porte, auquel on met un rideau pour avoir un peu d’intimité, parce que nous sommes 55 dans le dortoir. Chacun meuble son coin, son matelas comme il peut. Moi c’est ma famille qui m’a apporté ou des détenues qui m’ont laissé un héritage… C’est comme ça que ça s’appelle ici. Je reçois des appuis de gens formidables tous les jours. Ça va de l’ange aux chats en peluche, parce que les gens savent que j’adore les chats après avoir lu mon livre… J’ai même le drapeau français dans ma cellule, le drapeau européen… pleins de petits souvenirs qui me raccrochent au monde extérieur.
JJB : Hervé Morin est venu vous rendre visite il y a quelques semaines. Il avait promis de vous faire parvenir un iPod… Il a tenu parole ?
FC : Oui, il a tenu parole. C’est avec moi, j’ai eu l’autorisation. C’est merveilleux parce que ça me coupe de cette prison, de ce bruit, de ce brouhaha.
JJB : Et un ordinateur ? Vous avez accès à l’information internationale, grâce à l’informatique ?
FC : Non, ici c’est complètement interdit. Ce n’est pas les Etats–Unis, je sais que là–bas les détenus ont accès à Internet. C’est malheureux, mais c’est comme ça.
JJB : Comment allez-vous ?
FC : Aujourd’hui, bien. Parce que quand je me suis levée, je savais que je vous appelais.. ça change le panorama d’une journée. J’ai eu des jours, des semaines dernièrement assez éprouvantes. Je me sens très fatiguée et quand ça va pas, et j’ai vraiment l’impression que je ne me suis jamais sentie aussi faible, aussi exténuée. Moralement et physiquement, les deux vont ensemble. Le fait d’être touchée moralement m’empêche de dormir et le fait de pas dormir… se ressent sur le physique.
JJB : Vous arrivez à vous entretenir physiquement ? Où allez-vous puiser cette force de résistance ?
FC : Quand ça va bien, c’est beaucoup plus facile de trouver le goût de sortir, de faire du sport… Quand ça va pas, c’est beaucoup plus compliqué. On rentre dans un cercle vicieux, c’est facile d’avoir envie de ne rien faire. D’où je puise ça ? De l’appui, du soutien des Français, du Canada, d’autres pays… Aujourd’hui, j’ai un soutien grandissant de la part de Mexicains. C’est nouveau et ça m’aide énormément. J’ai donné des cours de français aux détenus et maintenant je donne un peu plus de cours particuliers aux fonctionnaires. J’essaye d’aider dans tout ce que je peux. Sur les droits de l’homme, le peu de connaissances que je peux avoir en matière juridique, parce qu’ici y’a beaucoup de mexicaines qui connaissent pas la constitution. Je l’ai lue plusieurs fois, j’en ai eu besoin pour mon procès.
JJB : Et puis vous avez Djamila qui vous rend visite régulièrement. Qui vous apporte des fruits, des produits frais du dehors… qui vous aide à surveiller votre alimentation… Elle dit de vous : "toujours très droite, jamais voutée malgré le poids sur ses épaules, il ya des hauts pas très hauts et des bas, très, très bas… mais elle résiste !"
FC : Elle est adorable. C’est vrai, c’est vrai la voix s’étrangle avec l’émo.... Aujourd’hui, je refuse de laisser tomber. Mais aujourd’hui, je me permets de pleurer, d’être en colère, d’être fatiguée et de me l’avouer à moi–même et de l’avouer aussi aux gens qui aiment me rendre visite. Chose qu’avant, j’avais du mal à accepter. J’en ai besoin, c’est comme une cocotte–minute, il faut laisser s’échapper la vapeur, pour pouvoir rebondir, remonter et reprendre des forces.
JJB : Florence, le match de football de ce jeudi, France-Mexique, on vous en parle dans la prison ?
FC : Oui, on fait des paris elle rigole. Des paris amicaux : je te préparerai le petit déjeuner, des choses comme ça. Moi je parie pour la France, bien sûr.
JJB : Sur le fond de l’affaire… On sent une solidarité grandissante mais il y a encore quelques personnes pour dire que vous aviez des relations un peu troubles… On ne sait pas vraiment si elle est innocente. Vous répondez quoi ?
FC : 4 ans et demi d’emprisonnement, d’injustice, de douleur. Beaucoup de sentiments contraires. Aujourd’hui, je prends les choses avec philosophie : y’aura toujours des gens qui vont douter. Je pourrais sortir demain, la justice mexicaine me considérer innocente… et il y aura encore des gens pour douter. C’est plus facile pour l’être humain, de croire dans le mauvais, plutôt que de croire dans le bon. Je le crois, malheureusement à force de coups, tous les jours. Je sais que je suis innocente, les gens qui me soutiennent le savent et en sont convaincus, ils font tout pour me sortir de là et c’est ce qui compte pour moi, c’est l’important.
JJB : Que dites-vous à ceux qui nous écoutent ce matin ?
FC : Je les remercie, pour nous écouter, m’écouter… me donner un petit espace dans leur vie et prendre le temps de m’écouter. Je remercie tous les gens qui me soutiennent, du fond du cœur. Sans eux, on ne serait jamais arrivés là où on est arrivés. Je serais peut-être… Je n’ose même pas imaginer dans quelles conditions je serais, si personne ne parlait de moi. Si je n’étais pas soutenue, si personne ne croyait en moi.