Luc Ferry a sauvé (malgré lui) la présidentielle

Après la tempête provoquée par les propos de Luc Ferry sur une prétendue affaire de pédophilie, beaucoup pensent que l’on va assister à un grand déballage sur la vie privée des politiques. Pas moi. Sans le vouloir, Luc Ferry a sauvé la campagne présidentielle.
Depuis sa lamentable sortie sur Canal+, Luc Ferry est l’homme par qui le scandale arrive : il aurait donné le signal de l’américanisation de notre vie publique. Incontestablement, il a glissé sur une mauvaise pente – on reprochait déjà à a presse de n’avoir pas tout dit sur ce qui se disait sur les habitudes intimes de DSK. Seulement voilà : Ferry est allé si loin qu’à l’arrivée, c’est le signal inverse qui est lancé. Avis aux journalistes, blogueurs, « twitteurs », aux politiques même et aux officines, prêts à toutes les approximations : dénoncer un crime et colporter une rumeur, ce sont deux choses bien différentes. Les confondre, c’est s’exposer – comme Ferry – à l’opprobre, au ridicule, et… à une convocation de la justice. Ça fera réfléchir.
Justement, une enquête judiciaire est ouverte à la suite de ses déclarations. Est-ce que ce n’est pas une bonne chose ?
Pour la vérité des faits, sûrement pas. Luc Ferry ne va donner aucun nom ni aucune date, il va expliquer qu’on lui fait dire ce qu’il n’a pas dit – et qu’on a pourtant tous entendu – et qu’il n’oserait jamais accuser sans preuve. Il voulait déballer (à la télé) ; (à la police) il va se déballonner. Donc aucune vérification ne sera possible – et beaucoup de gens vont penser qu’on a étouffé l’affaire, ce qui rend la démarche de Ferry encore plus stupide. Il n’empêche que c’est une démonstration par le (contre) exemple. Il y a des lois pour punir les crimes ; nous en avons aussi pour sanctionner la calomnie. Dominique Baudis, qui devrait être nommé au nouveau poste de Défenseur des droits, est bien placé pour en témoigner. Il est le symbole de l’homme public calomnié, souillé et finalement innocenté. Si tout le monde se souvient de cela, l’air de la campagne (de 2012) peut ne pas sentir le purin. Ce serait quand-même mieux.
Même si on évite le pire, est-ce que la présidentielle ne risque pas d’être imprégnée d’un débat sur les valeurs morales des candidats ?
C’est possible – mais ça, ce n’est pas forcément un mal. La France est le seul pays au monde où le mot « morale » est péjoratif. Qu’il y ait un ordre moral, en soi, ce n’est pas un cauchemar. A condition qu’il s’agisse d’un ordre public. Nous sommes en droit d’attendre que dans l’exercice de leurs fonctions, les élus, les ministres, aient un comportement moral, sinon exemplaire. Ce que Montesquieu appelait la « vertu ». Depuis un an, plusieurs ministres (Christian Blanc, MAM) ont été pris en faute sur ce terrain et ils ont dû quitter le gouvernement. Ça n’a rien à voir avec les crimes dont sont accusés DSK ou Tron. Mais rien non plus avec ce qu’ils font dans leur intimité.
Donc vous êtes optimiste : vous croyez que la frontière entre la vie publique et la vie privée peut tenir ?
Je crois qu’elle peut tenir telle qu’elle est : pas complètement imperméable, mais assez solide quand-même. La presse française ne s’est pas mise à traquer les politiques comme le font les Anglais : avec des micros, des filatures, en payant même des prostituées… En France, on aperçoit des politiques en maillot de bain dans les magazines people ; ce n’est pas très grave. Et comme ce n’est pas toujours joli à regarder, disons que c’est un outrage sur lequel il vaut mieux… fermer les yeux.
Ecoutez «le parti pris» de ce Vendredi 03 juin 2011 avec Hervé Gattegno et Jean-Jacques Bourdin sur RMC :
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