Oui aux jurés populaires, mais pour tout le monde !

Les députés ont entamé hier soir l’examen du projet de loi qui prévoit de faire siéger des jurés populaires au côté des magistrats professionnels dans les tribunaux correctionnels. Cette réforme est critiquée mais elle ne va pas assez loin. Les jurés populaires, chiche, mais alors, partout !
Dans cette affaire, on navigue entre la démagogie et le conservatisme. L’objectif affiché par le garde des sceaux c’est de « rapprocher le citoyen de la justice ». Personne ne peut être contre. Mais on sait que derrière cette réforme, il y a aussi un objectif non-dit – même s’il est transparent : c’est d’arriver à des décisions plus sévères, notamment sur les violences contre les personnes et en particulier les cas de récidive. Nicolas Sarkozy a assez critiqué ce qu’il appelle le « laxisme » des magistrats pour que le message soit clair : les juges ne jugent pas assez bien – c’est-à-dire qu’ils ne condamnent pas assez –, il faut que les Français le fassent à leur place. Là, on aura une bonne justice – promis… juré !
La réforme repose donc sur l’idée que les jurés sont plus sévères. Est-ce que c’est vrai ?
Les spécialistes de la justice ont plutôt tendance à penser que non. Dans les cours d’assises, on a fini par adjoindre des magistrats au jury parce qu’on trouvait que les verdicts étaient trop cléments… Donc non seulement les citoyens ne condamnent pas forcément plus lourdement, mais chacun sait qu’ils peuvent aussi se tromper – sans quoi il n’y aurait pas d’erreurs judiciaires aux assises. Dans les cas qui alimentent régulièrement la polémique – à propos de délinquants remis en liberté et qui récidivent, par exemple – rien ne peut garantir que les jurés ne commettront jamais d’erreur. Si c’est le cas, que fera-t-on ? Les politiques parlent souvent de « juger les juges » ; mais qui jugera les jurés ?
Malgré ces doutes, il serait préférable d'instaurer des jurés populaires dans toutes les juridictions ?
D’abord, précisons que le projet prévoit que 2 « citoyens assesseurs » siègeront avec 3 magistrats dans les chambres correctionnelles. Donc si l’objectif était de retirer des mains des juges le pouvoir de juger, on s’est arrêté en chemin. Mais si on pense que la seule présence des jurés va aider les magistrats à mieux décider, ou à mieux sanctionner, alors il faut se demander pourquoi on exclut du champ de la réforme les affaires financières – ou plutôt : il ne faut pas se le demander. Les jurés seront aptes à condamner l’agresseur d’une vieille dame ou un voleur de téléphone, mais pas le patron qui pique dans la caisse ou un élu corrompu. Il n’y a ni logique ni cohérence à cela.
Certains disent que les affaires financières exigent des compétences techniques. Est-ce que l’argument est recevable ?
Non. Les magistrats qui jugent ces dossiers ne sont pas non plus des experts comptables ni des as de la finance. Ils doivent se faire une idée sur la culpabilité ou l’innocence sur la base d’enquêtes qui, elles, sont faites par des spécialistes. Des jurés pourraient très bien le faire. Si le texte ne le prévoit pas, c’est qu’on veut une justice plus sévère sur certaines formes de délinquance… mais pas toutes. Imaginez des jurés pour juger l’affaire Kerviel, ou alors l’affaire Woerth. Demandez à chacun des députés qui vont voter le texte s’il préfèrerait comparaître un jour devant des jurés ou devant des magistrats – vous savez d’avance la réponse. Vox populi, peut-être. Vox populiste, sûrement !
Ecoutez «le parti pris» de ce Mercredi 22 juin 2011 avec Hervé Gattegno et Jean-Jacques Bourdin sur RMC :
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