Statistiques ethniques: "Chaque pays a sa façon de décrire sa population"
En évoquant la lutte contre la ghettoïsation et la politique repeuplement, le Premier ministre Manuel Valls, relance indirectement la question des statistiques ethniques, aujourd’hui interdites en France. Ce qui n’empêche pas, selon l’invité de RMC jeudi Patrick Simon, chercheur à l’Ined, "la circulation de certaines informations ethniques".
Le Premier ministre a présenté, mardi dernier, les contours de la "grande mobilisation" qu'il veut initier, une "politique du peuplement " pour "lutter contre la ghettoïsation, la ségrégation" dans les quartiers.
Alors que les logements HLM sont attribués sur des critères sociaux, la question se pose de savoir, comme l’a suggéré Benoîst Apparu sur RMC ce jeudi, s’il faut aujourd’hui prendre en compte les critères ethniques pour lutter contre la ghettoïsation. Le débat sur une éventuelle instauration de statistiques ethniques en France "mérite d'être ouvert", ainsi plaidé le porte-parole d’Alain Juppé.
Que dit la loi?
Aujourd’hui, la loi interdit la collecte des données à caractère ethnique, religieux ou racial. Mais il existe neuf clauses d’exception, selon Patrick Simon, qui "sont contrôlées, (…) il faut l’autorisation de la CNIL."
L’Ined demande "souvent l’autorisation de la CNIL sur certaines questions sensibles, a expliqué le chercheur sur RMC, mais c’est n’est pas une forme déguisée de statistique ethnique. Nous nous intéressons, en fait, aux origines des uns et des autres pour faire notre travail. Nous posons ces questions pour faire des recherches scientifiques sur la société, et ces informations restent confidentielles."
Si la loi interdit la collecte de ces types de données, c’est pour éviter toute forme de discrimination. Quid des maires qui refusent, selon lui, d'attribuer de logement à des familles maghrébines?
"Ce n’est pas la même chose, de donner ces informations à une entreprise ou à l'administration, reprend Patrick Simon. Même si ce n’est pas écrit sur les statistiques, il y a quand même des informations qui circulent. Et on ne peut pas dire qu’elles sont complètement aveugles à la couleur ou à l’origine. Donc, aujourd’hui, on est dedans."
Quid dans d’autres pays?
La politique de statistiques ethniques, religieuses ou raciales diffère, d’un pays à l’autre, explique le chercheur:
"Chaque pays a sa façon de décrire la population. (…) Aux Etats-Unis, avec l’histoire assez ancienne de l’esclavage, puis de la ségrégation raciale, et des lois d’affirmative action [discrimination positive, ndlr] pour essayer réparer le racisme, on a conservé l’information sur la race."
En Grande-Bretagne, c’est la religion qui est demandée aux citoyens pour "lutter contre les discriminations". Tout le contraire de l’esprit de la loi française:
"Pour lutter contre les discriminations, on a décidé de ne pas savoir, reprend Patrick Simon. (…) Et là, on est devant une contradiction: comment la République assure-t-elle l’égalité sans savoir si vous avez été confronté à une discrimination, à cause de votre origine, de votre race ou de votre religion?", s’interroge le chercheur.
Est-il favorable à aux statistiques ethniques? "Je suis favorable à ce que des politiques de lutte contre les discriminations prennent directement en compte l’origine, pour voir et réparer quand il y a discrimination", a-t-il conclu. Mais dans ce cas uniquement.