"Une école qui manque de rythme ?" & "La bonne graisse du mammouth"
Parmi les réactions à mon premier billet, deux thèmes ont retenu mon attention: les rythmes scolaires et le nombre de professeurs. Voici quelques éléments de réponse.
Une école qui manque de rythme ?
Malgré la suppression du samedi matin, notre système primaire reste l'un des plus lourds en nombre d'heures mais devient l'un des plus légers en nombre de jours de classe (140 quand des pays voisins dépassent les 200 jours). L'organisation du temps scolaire a toujours fait l'objet de compromis. On créa les grandes vacances pour garantir à la paysannerie la restitution de sa petite main d’œuvre au temps de moissons. On laissa le jeudi pour le catéchisme (remplacé depuis par le mercredi) en échange de la mise en place de l'école laïque (1882). Mais il n'était pas fait grand cas des besoins spécifiques des enfants. Heureusement certains, autour de la notion de chronobiologie, s'y intéressèrent.
Or, qu'en est-il aujourd'hui ? En fait, les rythmes scolaires ne satisfont personne car ils prennent en compte les demandes de tout le monde ! La preuve : les parents veulent leur week-end pour être en famille... ou ne pas avoir à se lever ! Les enseignants ont organisé leur vie personnelle et professionnelle autour de la coupure du mercredi. Idem pour les associations ou structures sportives et culturelles ouvertes aux jeunes. Les élus locaux, à une époque de forte décentralisation, n'ont pas forcément envie d'aller vers plus de dépenses : chauffage, transport, cantine, garderie, activités périscolaires. Et bien sûr, il y a la pression du tourisme aussi bien en hiver qu'en été (rares sont nos élèves à encore effectuer les moissons !). Quant aux chronobiologistes, ils insistent sur l'allègement de la journée au bénéfice d'une semaine plus équilibrée et régulière (par exemple cinq matinées d'affilée). Mais cela n'a de sens que si ces mêmes rythmes sont respectés par tous... Non seulement le temps de sommeil des enfants diminue dangereusement mais ces derniers passent en moyenne 1200 heures par an devant leurs écrans contre 900 en classe. Voilà toutes les composantes avec lesquelles devra travailler le pouvoir tôt ou tard ! Mais trouver le bon rythme (scolaire) est aussi une question de tempo (politique).
La bonne graisse du mammouth
La rentrée ayant été marquée par l'annonce de la suppression de 13.500 postes dans l'Education nationale (après la disparition de 11.200 emplois cette année), on reparle de la réalité des effectifs. Alors, pléthoriques ou insuffisants ?
Pour les uns, essentiellement sur le terrain, nous ne serions pas assez : refus d'inscription d'enfants en maternelle, classes de plus de 30 élèves, postes spécialisés non pourvus, remplacements mal assurés ou absence de places pour enfants handicapés. Comble du ridicule, on rappelle des retraités remis directement en classe ou bien l'on y envoie sans formation des étudiants pourtant recalés au concours (ceux de la liste complémentaire). Dans le secondaire, on ne compte plus les postes vacants (adjoint, CPE, conseiller d’orientation) sans parler des surveillants qui manquent à l'appel et des absences qu'on ramasse à la pelle (remplacement qu’après plusieurs jours d'absence).
Pour d'autres en revanche, il faudrait « dégraisser le mammouth » quitte à la dépecer. Douze millions d'élèves ne nécessiteraient pas la mobilisation de plus de 800.000 professeurs (une moyenne de 12 élèves par professeur d'après le ministre des divisions blindées). Pour bible, les équarrisseurs ont le rapport de la Cour des comptes de 2005 qui révélait que 97.000 enseignants (l'équivalent de 32.000 postes) seraient « sans classe » soit un poste sur 20. Mais être sans classe, est-ce être sans travail ? Comment comprendre un tel écart entre des chiffres officiels incontestables (la Cour des comptes a travaillé à partir des données fournies par l'Education nationale) et un tel constat de carences sur le terrain ?
En fait, la Cour des comptes a additionné tous les cas particuliers au risque de dangereux amalgames... Bien sûr, il y a les arrêts maladie, les congés de maternité ou les mi-temps thérapeutiques. On trouve aussi des décharges syndicales (3000), tout comme des « mises à disposition » (Cité des sciences par exemple). Moins connus, les enseignants « en disponibilité » qui sortent temporairement de l'E.N. le temps d'un projet personnel, et les « détachés » qui travaillent pour un autre secteur public (Jeunesse et sport, Culture). Attention : dans ces deux cas, l'Education nationale ne verse pas un centime. Il y a aussi ceux qui enseignent à l'étranger, en formation d'adultes, en IUFM ou en prison (eh non, ce n'est pas pareil !). Ajoutons toux ceux appelés à concevoir des activités pédagogiques comme les « personnes ressources » en sciences, en informatique ou en anglais (par exemple un instit travaille à mi-temps dans sa classe et à mi-temps avec les classes volontaires).
J'ai failli oublier tous les remplaçants (maladie, accidents, maternité, stages), des instituteurs qui exercent comme conseillers pédagogiques, les profs qui travaillent au CNED et tous ceux retenus par des fonctions administratives à différents étages de la structure scolaire ; d'autres travaillent à mi-temps ou à temps partiel, pendant que certains bénéficient de décharges comme les directeurs (¼, ½ ou décharge complète) et les maîtres formateurs (2/3 en classe et 1/3 pour la formation). Ceci existe aussi dans le secondaire avec l'heure dite « de première chaire » (une heure par semaine pour les profs de Terminale) ou l'heure de « laboratoire » pour ceux qui en ont la charge. Enfin, il y a effectivement le cas avéré de professeurs en sureffectif du fait d'une inadéquation entre l'offre (allemand, éducation physique, russe) et la demande. Ca ne les rend pas interchangeables ! Mais ne mélangeons pas tout : surnombres, malades, déchargés, détachés, en disponibilité, mis à disposition, remplaçants, temps partiels !
Comme on le voit, nous sommes loin du scandale annoncé. Obtenir un concours d'enseignant ouvre l'accès à d'autres carrières que l'enseignement. Supprimer ces fonctions intermédiaires et ces articulations souples reviendrait à arrêter de mettre de l'huile dans une voiture sous prétexte que ce n'est pas du carburant. Eh oui, comme dans un bon moteur, dans le corps du « mammouth » aussi on a besoin de bonne graisse !
Votre opinion