En 10 ans, le smartphone "est devenu un e-doudou pour adultes"

- - José Lagos - AFP
Laurent Karila est psychiatre, addictologue, porte-parole de SOS addictions auteur du livre "Accro" et "Votre plaisir vous appartient" (éd. Flammarion).
"Le smartphone n'est qu'un outil technologique, mais comme il est performant, il fait tout et donne accès aux réseaux sociaux, aux appels, aux SMS illimités… C'est comme un e-doudou, il a un côté rassurant. C'est comme quand on était petit avec notre doudou. On dort avec, on se réveille avec, et même quand on a des insomnies la première chose qu'on fait c'est d'allumer son smartphone. Même sans souffrir de vrais addictions, les gens restent accrochés à leur smartphone: on ne peut pas sortir sans, on ne peut s'empêcher de checker ses mails ou d'aller sur les réseaux sociaux.
"L'angoisse de la séparation"
Il y a plusieurs types d'angoisses liées au smartphone. D'abord, la "techno angoisse de séparation". Quand on n'a pas son smartphone, on a des grosses angoisses, avec d'authentiques symptômes. Il y a l'angoisse d'être déconnecté quand on se rend dans des endroits sans réseau. Il y a l'angoisse de ne plus avoir de batterie. D'ailleurs, tout un commerce de batteries externes s'est développé. Il y a enfin l'angoisse de rater une information, c'est le syndrome FOMO (fear of missing out, en anglais, la peur de rater quelque chose). Ne pas être au bon moment sur la bonne information, le bon échange. Il y a aussi le phénomène des vibrations ou des sonneries fantômes (on croit que son téléphone vibre ou sonne). Ça peut arriver à tout le monde, c'est quand c'est très répété que ça devient handicapant.
"Le risque? Une société où plus personne ne se parle"
Ça peut nous gâcher la vie, oui, mais de manière indirecte. Vu qu'on fait tout avec, on peut faire des achats compulsifs, on peut aller sur des sites pornos… D'ailleurs, chez les gens qui viennent me voir en consultation, la raison principale n'est pas le smartphone. Chez eux, il n'est qu'un intermédiaire qui va faciliter leur addiction. Ce sont des acheteuses pathologiques, ou des sex addicts…
Le risque effectivement, c'est une société où tout le monde aura les yeux rivés sur son smartphone. C'est une vision pessimiste, mais effectivement, il y a un risque de situations sociales où plus personne ne se parle et où les échanges ne se font plus que par SMS. C'est un phénomène générationnel, mais qui atteint tous les âges petit à petit.
"Tout le monde n'est pas addict, heureusement"
Je pense toutefois qu'on va s'adapter à l'outil. Il y a toujours une petite partie de la population qui est plus vulnérable et qui va développer des comportements addictifs. Mais tout le monde n'est pas addict, heureusement.
Il ne faut pas de cours obligatoires pour apprendre à utiliser son smartphone, mais en tout cas, le smartphone doit faire l'objet d'une attention particulière et doit être considéré comme les autres addictions comportementales".