Fraises, framboises... Pourquoi y a-t-il si peu de fruits rouges français sur les étals?

C’est la saison des fruits rouges. Fraises, framboises, myrtilles... Les Français en raffolent, et de plus en plus: notre consommation a été multipliée par trois en 10 ans. On en consomme 11.300 tonnes chaque année.
Pour faire face à la demande, on importe énormément de fruits rouges: 86% de nos framboises et de nos myrtilles et 50% de nos fraises. Mais des producteurs souhaitent développer les filières françaises. Elles sont en plein essor, la preuve: la production de framboises et de myrtilles est en hausse de 13% en 2023 par rapport à 2022.
RMC Conso a interrogé Xavier Mas, président de l'AOPn fraises et framboises de France, Camille Aguer, chef de produit marketing chez Prince de Bretagne et Patrick Guivarch, responsable innovation au sein de la coopérative Sica Saint-Pol-de-Léon, pour comprendre les enjeux de ces filières.
Concurrencer les produits d'importation
"La production de fruits rouges français est encore peu développée car il n'y a pas si longtemps, la demande était bien plus faible. Aujourd'hui, il y a une tendance des superfruits que sont les baies. Elles ressemblent à de petits bonbons, un snack bon pour la santé qui attire de plus en plus de consommateurs," note Camille Aguer.
Le principal enjeu, aujourd'hui, pour les filières françaises, est de répondre à cette demande en concurrençant les produits issus de l'importation.
"Pour la fraise, notre stratégie a été de produire des variétés bien spécifiques pour se différencier du produit d'importation. Par exemple, on est quasiment les seuls en Europe à produire la gariguette. Et ça fonctionne: il y a 10 ans on importait encore deux tiers des fraises, aujourd'hui c'est 50%," explique Xavier Mas.
Pour lui, la fraise gariguette, reconnaissable à sa petite taille et son odeur de fraise prononcée, est gustativement meilleure que les fraises espagnoles. Elle a aussi un coût: 16 euros environ le kilo, contre 6 pour les variétés étrangères.
Une culture gourmande en main d'œuvre
Les raisons de ce décalage sont multiples. Les variétés espagnoles sont beaucoup plus productives et permettent un meilleur rendement. Surtout, les fruits rouges, framboises et myrtilles incluses, sont très gourmandes en main d'œuvre.
"La main d'œuvre, c'est 30 à 40% de nos coûts de production pour la framboise, 50% pour la myrtille, avance Patrick Guivarch. Tout est récolté à la main, parce que ce sont des fruits très fragiles qui ne supportent pas les chocs. En une heure, une personne ramasse 4 à 5kg de framboises maximum."
Et forcément, à l'étranger, la main d'œuvre est beaucoup moins chère. Le salaire minimum en Espagne est à 1.323 euros bruts mensuels, au Maroc il est de 289 euros... Contre 1.766,92 euros en France.
"Les coûts de production de nos homologues espagnols sont deux fois inférieurs aux nôtres, déplore Xavier Mas. En plus d'une main d'œuvre moins chère, ils ont des exploitations bien plus grandes qui leur permettent de faire des économies d'échelle. On y voit des exploitations à 150 hectares. Chez nous c'est 2 hectares en moyenne. pour les fraises."
Des fruits fragiles
La fragilité des variétés françaises est un autre frein. "Les framboises cultivées en France [...] sont trop fragiles pour le circuit de la distribution, confiait Michel Biero, directeur exécutif des achats de Lidl France, à nos confrères de Ouest-France en 2021. Combien de fois, à peine arrivées dans nos plateformes logistiques […], elles ont été refusées car il y avait déjà du jus au fond de la barquette."
La framboise se conserve difficilement: maximum 48 heures à 10°C. Ces fruits sont par ailleurs sensibles aux aléas climatiques, notamment au gel, et requièrent donc un gros investissement de départ pour les producteurs.
Selon Patrick Guivarch, il faut, pour se lancer, entre 65.000 et 70.000 euros d’investissement. Mais en plus de l'achat du matériel nécessaire à la protection des plants, il faut de la patience: deux ans pour que la myrtille fournisse ses premiers rendements, quatre ans pour arriver à un rythme de croisière.
"Pour notre première récolte de myrtilles, en 2023, certains de nos producteurs ont perdu 30% de leur récolte à cause d'une tempête début août. Ces aléas, et la nécessité de se projeter à long terme, ce sont des freins pour nos producteurs," raconte le responsable innovation de la SICA Saint-Pol-de-Léon.
Un projet breton
Le projet de la marque Prince de Bretagne, qui intègre la coopérative de Saint-Pol-de-Léon et deux autres coopératives de la région, a été lancé il y a quatre ans dans le but d'étudier la faisabilité de la culture des fruits rouges. L'expérimentation a été concluante: Prince de Bretagne prévoit la commercialisation de 4 à 5 tonnes de framboises et 15 tonnes de myrtilles cette année.
Malgré une plus forte présence dans la région sud-ouest, la culture des fruits rouges fonctionne bien en Bretagne: "Notre climat tempéré est favorable, on connaît peu d'épisodes de gel et peu de fortes chaleurs," explique Patrick Guivarch.
Raison pour laquelle Prince de Bretagne espère développer la production dans les années à venir et concurrencer les produits d'importation.
"Pour le moment nous sommes sur de bien plus petites surfaces d'exploitation que ce qui est importé, mais on espère trouver de nouveaux clients, attirer de nouveaux producteurs, pour drainer plus de volume," projette Camille Aguer.
"Je suis persuadé que dans cinq ans, on verra bien plus de framboises et de myrtilles françaises sur nos étals," conclut Patrick Guivarch.