Bio dans les hypermarchés: "C'est vider le bio d'une partie de sa philosophie"

- - AFP
"Le bio a été victime de son succès. Il représente 20% de croissance par an depuis 5 ans. C'est un marché spéculatif. Le bio doit ce succès à une demande de la société, mais aussi à une transformation de l'offre par les militants qui ont fondé leur entreprise bio il y a 40 ans.
Ces gens-là ont pu faciliter la demande en mettant des produits en barquette pour que ces produits soient visibles en grande distribution. Mais du coup, quand vous allez chez un distributeur bio ou en supermarché vous n'avez pas toujours l'impression d'avoir affaire à des fruits et des légumes mais à des barquettes et à du cellophane, et le bio n'a l'air d'être qu'une marque.
"Une question de bon sens"
Il y a une question de bon sens. Acheter un produit bio mais qui vient du Chili ou de Roumanie, vous pouvez être à peu près sûr que ce n'est pas le même bio qu'en France.
Si vous avez du bio qui coûte le même prix que du conventionnel, très souvent, il est fait dans un autre pays où la main d'œuvre coûte moins cher. On a peut-être changé la philosophie de la production parce qu'on a éliminé la part chimique mais on n'a pas changé la philosophie du productivisme parce qu'on n'a rien changé à la culture de la monoculture.
Demain, si le bio continue de s'étendre avec cette industrialisation est-ce que ça va gêner les gens? Je ne suis pas sûr, parce que les gens sont rassurés par le logo point final. Ce logo bio leur permet de ne pas changer grand-chose à leurs habitudes puisqu'il leur permet d'acheter en toute bonne conscience des produits complètement coupés de la réalité de leur production.
"Une belle tentative de phagocyter le bio"
La grande distribution, qui a été très maligne, fait une belle tentative de phagocyter le bio de façon à en faire un produit de consommation courante qui aura besoin de sa structure pour continuer à vivre. Et la grande distribution continuera à grossir alors même qu'elle était censée maigrir à cause de l'arrivée du bio. Le danger est là. Il est dans le fait de vider le bio d'une partie de sa philosophie parce qu'on l'aura transformé en produit comme un autre en terme de distribution.
La philosophie du bio par essence, c'est produire en fonction des conditions locales de culture, c’est-à-dire produire selon la nature du sol, selon la réalité du climat avec la biodiversité telle qu'elle est sans opposer à elle. En fait c'est continuer à produire sans trop embêter la nature et - c'est sans doute le plus important - c'est produire pour que cela rapporte au paysan.
Ce n'est pas un marché de niche mais par définition ça ne peut pas être un marché de masse. D'autant plus que si vous voulez en faire un marché de masse vous êtes obligé de renier un peu sur les critères du bio, d'utiliser un peu de mécanique, de faire de la grande culture.
"Si le consommateur continue à acheter de la merde ça ne marchera pas"
In fine, vous aurez des produits qui ne seront pas frappés par les pesticides, qui auront moins abîmé les sols parce qu'ils n'auront pas été pulvérisés d'engrais, mais dans la mesure où on sera dans une logique de grande culture ça ne profitera pas forcement au paysan, ça n'enrichira pas forcément les circuits courts. Le bénéfice social qu'est censé permettre le bio ne sera pas forcément là.
Donc le bio pas cher de supermarché, même si le marché s'étend, c'est difficile d'imaginer que tout produit bio puisse être au même prix qu'un produit conventionnel. C'est même quasiment impossible compte tenu du fait qu'il y a plus de travail salarié et dans nos pays le travail salarié coûte cher. Ce qui est sûr c'est que si le consommateur continue à acheter de la merde ça ne marchera pas. La bouffe de qualité ça demande plus de surface de terre, plus de main d'œuvre, plus d'échecs, donc ça coûte plus cher".