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Les saveurs de Périco: la Merenda à Nice, un grand chef à prix doux

Restaurant La Merenda à Nice

Restaurant La Merenda à Nice - La Merenda

Nouveauté sur RMC Conso: Périco Légasse, journaliste gastronomique et pilier de l'émission Estelle Midi sur RMC, nous livre ses coups de cœur et ses coups de gueule. Pour cette première chronique, focus sur le restaurant la Merenda, à Nice.

Niché près du marché Saleya, ce sanctuaire de la tradition niçoise est tenu depuis trente ans par l’ancien chef de l’hôtel Negresco. Habité par le produit et la saison, Dominique Le Stanc exprime sa passion en sublimant l’authenticité du patrimoine culinaire local. Voici un cuisinier qui régale avec l’essentiel: donner à manger.

Il avait échangé sa couronne de laurier contre une fleur de courgette… C’était il y a trente ans. Il en fallait de l’audace, et une jolie dose de folie, pour balancer son titre de gloire dans la baie des Anges en lui préférant la clameur populaire des ruelles du vieux Nice.

Le cas est unique. À cette différence que si Dominique Le Stanc avait ouvert son bistro à Tokyo, il aurait eu trois étoiles au guide Michelin. Là-bas, pourvu qu’elle se distingue par la pureté de sa cuisine, une modeste taverne de quelques couverts peut décrocher la consécration suprême.

Dominique Le Stanc devant La Merenda
Dominique Le Stanc devant La Merenda © La Merenda

En France, c’est simplement inconcevable. Des étoiles, il en avait pourtant eu deux quand, à l’issu d’un prestigieux parcours chez des grands noms du fourneau tricolore, Haeberlin, Senderens, Chapel, il fut appelé pour garantir la renommée du Chantecler, le restaurant de l’hôtel Negresco, emblème des palaces azuréens.

La star, c'est le produit

Succédant à Jacques Maximin, l’un des monstres sacrés ayant porté la cuisine française à ses sommets, Le Stanc avait le cran nécessaire pour relever le défi. Point commun entre les deux hommes, un furieux besoin de liberté, celle d’aller plus loin vers les fondamentaux, avec cette passion pour un métier nourri de fougue et d’émois.

Certes, les honneurs, les médailles et la gloriole médiatique tournent souvent la toque aux grands chefs, si ce n’est qu’à Nice, vingt-six siècles de civilisation méditerranéenne ont marqué les mœurs et les cœurs car les trésors déposés par une nature généreuse et rayonnante sur l’étal du marché remettent la conscience du cuisinier à l’heure. Ici, la star, c’est le produit!

Ce n’est pas à l’idée de briller davantage dans son art que s’embuent les yeux de Dominque Le Stanc, mais à la vue des légumes du potager gorgés de soleil, des fines herbes aux parfums enivrants, des sardines fraîches aux reflets argentés ou d’une blette dont il fait la meilleure tourte du monde, parmi tant d’autres joyaux de ce territoire béni.

En cuisine à La Merenda
En cuisine à La Merenda © La Merenda

Un mélange de Provence et d’Italie où les deux cultures foisonnent de saveurs et de senteurs sous la bénédiction des oliviers, des citronniers, de la verveine, des lauriers roses et du mimosa. Et une approche naturelle de cette Riviera dont les paysages, hélas très urbanisés, n’en recèlent pas moins les ingrédients sacrés de la cuisine niçoise.

On comprend pourquoi, consacrant sa vocation de cuisinier à l’unisson de ce paradis culinaire, Dominique Le Stanc a préféré la vérité d’un estaminet aux ores d’un palace. À ce niveau de ferveur, une fleur de courgette cueillie à la rosée et la fragrance d’une feuille de basilic le font plus rêver que les feux de la rampe.

Né d’une mère alsacienne et d’un père breton, le jeune chef découvre un jour l’identité niçoise dans ce qu’elle a de plus intime, sa cuisine, grâce à sa rencontre avec deux personnages. Patrons d’une petite cantine posée à deux pas du cours Saleya, siège du célèbre marché éponyme, La Merenda (la collation ou le casse-croûte en dialecte nissard, en espagnol on dit la merienda), Christiane et Jean Giusti se prennent d’affection pour ce cuisinier fou de produits, qui le leur rend bien. Ce sera la révélation.

Le culte de la simplicité

Dominique Le Stanc comprend pourquoi il aime cuisiner, non pour épater avec des prouesses technogustatives, mais pour restituer dans l’assiette les profils sensoriels d’un paysage, la lumière d’une saison, l’amour du paysan pour son lopin de terre, d’une fermière pour ses chèvres, du pêcheur pour la mer, de l’artisan pour son savoir, autrement dit tout ce qui témoigne de l’âme d’une denrée.

Le vrai talent se révèle parfois dans le culte de la simplicité. "La bonne cuisine c’est quand les choses ont le goût de ce qu’elles sont", disait l’illustre Curnonsky, père du journalisme sybarite et prince des gastronomes. À Nice, on vit le goût de l’instant et de l’endroit. Le petit prince de La Merenda ne recherche pas autre chose ici-bas et s’épanouit depuis trente ans dans ce sacerdoce culinaire.

L'équipe de La Merenda
L'équipe de La Merenda © La Merenda

Vêtu de son tablier bleu, ses achats du jour posés sur le comptoir et l’œil rivé sur ses cuissons, Dominique Le Stanc s’adonne à son rituel devant une clientèle ravie de pouvoir participer à la cérémonie. Avec ses 28 m2, la salle à manger ne compte, en effet, que 24 tabourets, pas un de plus, mais resplendit du sourire de Danielle Le Stanc, épaulée par Ariel pour décrypter les subtilités et les nuances de l’ardoise.

Le geste précis et sûr, heureux de son marché, car c’est à ce moment religieux qu’il compose son menu, le chef met en scène les acteurs de cet acte théâtral où chaque ingrédient apporte sa part de gourmandise. Ici la tradition ne se fane jamais puisqu’elle témoigne d’une transmission inscrite dans la continuité du vivant.

Pourquoi céder aux canons d’une modernité tendance, imposant d’inventer des plats nouveaux, ce qui est tout à fait respectable, quand le répertoire classique des spécialités offre une diversité évoluant de saison en saison? Simple bon sens, La Merenda ne ferait pas salle comble à chaque service si l’on s’y ennuyait d’un manque de renouvellement.

Stockfish, daube de bœuf ou tourte aux blettes sucrée

Comme si l’on pouvait se lasser de la tarte de Menton, version locale de la pissaladière niçoise, de la roquette et ricotta aux olives, des fameuses fleurs de courgettes en beignet, l’un des emblèmes de la maison avec les sardines farcies et la ratatouille du pays, muées en merveilles par les doigts du chef.

C’est que l’on vient de très loin pour honorer les deux grands classiques de l’enseigne, le stockfish, dit estocafic ou estoficada en nissard, préparation ancestrale à base d’aiglefin ou de cabillaud séché et salé, et les tripes de veau à la niçoise, servis avec des panisses à la farine de pois chiche, érigés en chefs d’œuvre par Dominique Le Stanc. Sans oublier la daube de bœuf à la provençale, les lentilles aux saucisses perrugina et la queue de bœuf à l’orange et polenta pour lesquels on revient même du bout de la rue.

Certains, pour ne pas dire certaines, ont même récidivé le lendemain, et même le surlendemain, pour succomber aux délices de la tourte aux blettes sucrée et d’une tarte au citron dépassant toutes les étoiles du monde. La carte des vins est conforme à l’esprit des lieux, "blanc, rosé ou rouge", avec la certitude que le contenu du flacon apportera la plus exquise des répliques à chacun des mets du jour.

Pas plus qu’à son ouverture en 1966 La Merenda ne dispose de téléphone, il fallait donc passer pour réserver… Mais le progrès ayant parfois des vertus, et les anges de la baie une certaine influence sur le taulier, on peut désormais trouver sa table en se promenant sur lamerenda.net. Un détour qui vaut le clic…

La Merenda, 4 rue Raoul Bosio, 06300 Nice. Ouvert du mardi au vendredi. Réservation sur place ou lamerenda.net

Périco Légasse