Face à la hausse des vols, de plus en plus de commerçants affichent la photo de leurs voleurs

Un homme en train de voler une bouteille d'alcool, image d'illustration - Photo par OLIVER BERG / DPA / dpa Picture-Alliance via AFP
"Souriez, vous êtes fiché!" indique une affiche placardée dans un magasin Intermarché de Nantes et repérée par le spécialiste de la consommation Olivier Dauvers sur son compte X vendredi 15 août.
"Une plainte contre vous est en cours. N'hésitez pas à nous laisser vos coordonnées afin de gagner du temps". Et, sous cette invitation, la copie d'une plainte déposée en ligne par le commerçant, accompagnée d'une capture d'écran de la caméra de surveillance du magasin, montrant quatre hommes, manifestement suspectés de vol.
Cette pratique qui consiste à afficher la photo de voleurs présumés, sur les réseaux sociaux ou directement en magasin, n'est pas nouvelle. Mais elle prend de l'ampleur depuis deux ans. Elle a même débouché sur la création d'un collectif en 2023, "Ras le vol", fondé par Jérôme Jean.
"Efficace 8 à 9 fois sur 10"
Ce dernier est un ex-commerçant lui-même victime de vols à l'époque. Il a décidé de regrouper les commerçants pour tenter de mesurer ce phénomène d'affichage des voleurs et son impact.
"Nous sommes aujourd'hui suivis par 15.000 personnes et selon une étude que nous avons menée récemment, 18% des commerçants ont déjà affiché un voleur sur les réseaux sociaux, 16% au sein de leur enseigne, ça se fait de plus en plus," explique-t-il à RMC Conso.
Une mesure selon lui efficace "8 à 9 fois sur 10" et qui répond à la hausse des vols à l'étalage, "de +15,5% en 2024 par rapport à 2023". Un chiffre issu de l'étude de Ras le vol. Du côté du ministère de l'Intérieur, les chiffres communiqués à RMC Conso dévoilent même une hausse de 25% (en zone police, 29.768 faits recensés en 2023, 37.143 faits recensés en 2024).
"L'affichage permet de recevoir des témoignages pour identifier les voleurs, mais parfois, cela a aussi pour résultat de faire revenir les auteurs des faits, qui ramènent spontanément la marchandise qu'ils ont volée," affirme Jérôme Jean.
Une méthode illégale
Problème, cette méthode est complètement illégale. Selon l'article 226-1 du Code pénal, fixer, enregistrer ou transmettre sans son consentement l'image d'une personne se trouvant dans un lieu privé est interdit. Il s'agit d'une atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui, punie d'un an de prison et 45.000 euros d'amende.
Par ailleurs, la pratique va à l'encontre de la présomption d'innocence, qui veut que toute personne est présumée innocente tant qu'elle n'a pas été jugée et reconnue coupable, quand bien même le vol serait attesté par les images de vidéosurveillance. Ces dernières ne peuvent être utilisées que dans le cadre d'un procès, en guise de preuve.
Pour justifier ce comportement hors-la-loi et pourtant de plus en plus fréquent, Jérôme Jean avance que "les commerçants sont lassés, les plaintes n'aboutissent pas, la preuve, il y a une baisse du nombre de dépôts de plaintes parce que les commerçants pensent que ça ne sert à rien". Selon lui, seule la moitié des commerçants porte plainte après un vol.
Proposition de loi
Il plaide pour une autorisation d'affichage du visage des voleurs. Un combat qu'un député centriste, Romain Daubié, a décidé de porter dans l'Hémicyle. Sa proposition de loi, déposée en janvier 2024, entend créer une présomption de consentement "pour les personnes entrant dans les établissements recevant du public spécifiques que sont les commerces, les magasins de vente, les restaurants ou débits de boissons indiquant que la vidéoprotection est utilisée."
Cela autoriserait donc les commerçants à afficher les images de cette vidéoprotection en cas de vol. Mais la proposition n'est, un an et demi après, toujours pas à l'ordre du jour à l'Assemblée.
Bien sûr, le sujet soulève beaucoup de questions: quid du droit à l'image, de la protection de la vie privée? L'autoriser pourrait aussi encourager l'idée de se faire justice soi-même, provoquer une chasse au voleur, inciter à la délation... Face à ces critiques, Jérôme Jean répond: "On n'encourage surtout pas les gens à intervenir, et c'est aussi pour cela qu'on veut un cadre légal pour cette permission d'affichage".
Mais une loi qui l'autoriserait pourrait être qualifiée d'anticonstitutionnelle dans la mesure où le respect de la vie privée (auquel est lié le droit à l'image) est garanti par la Constitution.
La délation récompensée au Royaume-Uni
La pratique existe néanmoins ailleurs dans le monde, aux États-Unis par exemple. Plus près de chez nous, au Royaume-Uni, certains commerçants utilisent même la reconnaissance faciale pour lutter contre le vol. Si un voleur entre dans un magasin dans lequel il a déjà volé par le passé, le commerçant est alerté.
Une mesure qui serait totalement proscrite en France: conserver des données de caméras de surveillance pour créer une liste de personnes ayant fait l’objet d’un signalement est interdit par le RGPD, dont le garant est la CNIL (Commission nationale de l'informatique et des libertés).
Outre-manche, une chaîne de supermarchés s'apprête même à aller plus loin: selon The Guardian, l'enseigne de surgelés Iceland a annoncé vouloir rémunérer les clients qui dénoncent les voleurs, d'une livre sterling créditée sur leur carte de fidélité pour chaque dénonciation. Autrement dit, dénoncer un voleur permettra au client de dépenser plus d'argent au sein de l'enseigne... La fidélité poussée au zèle.