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Vendre des sextoys reconditionnés, le pari osé de Rejouis et Passage du désir

En 2007, les Français n'étaient que 10% à utiliser des sextoys contre près de 51% en 2021 (photo d'illustration).

En 2007, les Français n'étaient que 10% à utiliser des sextoys contre près de 51% en 2021 (photo d'illustration). - François Guillot - AFP - Image d'illustration

En 2023, un entrepreneur a eu l'idée de reconditionner les jouets intimes via la plateforme Rejouis. Panorama de cette initiative.

Vêtements, électroménager, mobilier, appareils technologiques... Opter pour de l'occasion ou du reconditionné, à la place du neuf, est une pratique devenue monnaie courante pour bon nombre d'entre vous.

Mais est-ce que les objets qui touchent à votre intimité peuvent aussi avoir une seconde vie? Oui, c'est par exemple le cas des matelas mais aussi... des sextoys.

Évidemment, le principal frein pour le développement de ces marchés, c'est la réticence des consommateurs. Pour autant, l'usage du mot "reconditionné" est encadré par la loi et impose au vendeur un processus précis de réparation et de remise en état.

"Le marché des jouets intimes est aujourd'hui évalué à 40 milliards d'euros dans le monde. C'est un chiffre qui risque de doubler d'ici quatre à cinq ans. En Europe, c'est 10 milliards d'euros et entre 1,5 et 2 milliards d'euros en France, qui connaît une croissance chaque année", explique à RMC Conso Bénoni Paumier, fondateur de Rejouis, seul acteur de collecte et de vente de jouets intimes reconditionnés.

"En 2007, les Français n'étaient que 10% à utiliser des sextoys contre près de 51% en 2021. Les jouets s'invitent donc de plus en plus dans leur sexualité", poursuit-il.

Et pour cause, "les femmes se les ont appropriées dans une logique de connaissance de leur corps, de recherche de leur plaisir personnel. Les jouets sont aussi devenus des accessoires de couple pour sortir de la routine et proposer une expérience nouvelle", analyse Bénoni Paumier.

Comme il n'y a pas d'études, ni d'intersyndicale et que ce sont des données privées, il est difficile d'estimer le nombre de sextoys qui ne sont plus utilisés ou qui ont terminé à la poubelle. Mais l'ampleur du marché laisse penser que la part de ces objets est importante.

D'où l'intérêt de limiter le gaspillage, comme pour tout autre objet de consommation aujourd'hui d'ailleurs. Et c'est dans cette optique que Bénoni Paumier a lancé, en 2023, le concept de Rejouis.

"Changer la donne"

Depuis ses débuts, Bénoni Paumier est un entrepreneur porté par des projets sociaux et environnementaux. Plusieurs constats l'ont conduit à la création de Rejouis.

"Sur ce marché, il y a toujours eu une réalité: les gens achètent leurs jouets, puis ne les utilisent plus, les laissent traîner dans leurs tiroirs ou les jettent à la poubelle", assure-t-il.

En parallèle, il a observé le développement d'un premier début de réponse à cette problématique à travers un groupe Facebook privé nommé "Sextoys et accessoires érotiques d'occasion", qui compte aujourd'hui plus de 5.000 membres. Vrai espace de revente, le groupe a été créé en 2021 et "montre qu'il y avait déjà à l'époque un marché et une demande des consommateurs".

Les produits sont vendus moins chers que le neuf, mais le problème c'est qu'il n'y a "aucun process sérieux de nettoyage des jouets", pointe Bénoni Paumier.

Ainsi, il a voulu "changer la donne d'un secteur qui prend peu en compte les questions environnementales, grâce à un système de collecte des jouets intimes qui garantit l'anonymat des dons, avec un processus d'hygiène de niveau médical et à des prix toujours abordables", affirme-t-il.

Un don, un bon d'achat

Mais alors, concrètement comment ça marche? Si vous avez des jouets intimes qui dorment dans vos placards et pour éviter de les jeter, vous pouvez vous rendre dans une boutique spécialisée et les déposer dans un bac de collecte prévu à cet effet.

"Nous avons un réseau de boutiques partenaires: les 21 magasins Passage du Désir, les trois points de vente (Dé)boutonné.e.s et le magasin Sexodrome à Pigalle. En échange d'un don de jouets, les clients reçoivent souvent un bon d'achat sur la boutique", indique le fondateur de Rejouis, qui propose le même système sur son site.

Effectivement, "vous recevez cinq euros si vous ramenez un sextoy dans une de nos boutiques et nous reprenons même des produits de nos concurrents", nous précise Patrick Pruvot, fondateur des boutiques Passage du Désir, créées il y a près de 18 ans et qui sont aujourd'hui leader avec 30 millions d'euros de chiffre d'affaires cette année.

Une collaboration évidente, selon lui. "Les jouets intimes, c'est comme du petit électroménager puisqu'ils ont une durée de vie limitée. Donc c'est la moindre des choses de limiter leur impact. Cette initiative prouve que l'éco-responsabilité peut se traiter à tous les niveaux et notamment qu'elle peut se penser même au lit", dit-il avec amusement.

Des méthodes de nettoyage utilisées en gynécologie

Ensuite, tous les jouets de toutes les enseignes partenaires sont collectés. Direction le siège de Rejouis à Briouze, en Normandie. Là, de nombreuses étapes vont s'enchaîner pour garantir, à la fin, un produit propre et qualitatif.

D'abord, parmi tous les jouets collectés, il y a une sélection qui est effectuée. En effet, il y a des sextoys vendus par certaines marques qui peuvent cacher des composants nocifs sur le long terme, notamment les phtalates.

"Pour garantir un protocole de nettoyage efficace, on fait le choix de sélectionner des jouets fabriqués en matériaux sûrs comme le silicone médical, le verre, le métal", est-il affirmé sur le site. Ainsi, "si nous avons des doutes sur la matière première utilisée, nous ne les reprenons pas", assure le fondateur de Rejouis.

Par ailleurs, "nous identifions le fabricant et le modèle. Nous le mettons en vente seulement s'il est référencé", ajoute-t-il.

Beaucoup de consommateurs achètent ce type d'objets en ligne sur des plateformes avec des prix plus attractifs, mais dont la qualité laisse à désirer. De ce point de vue, cette méthode peut paraître trop sélective et bon nombre d'objets ne seront pas reconditionnés.

Ensuite, le sextoy est soumis à un diagnostic en trois points: la surface doit être en parfait état ainsi que l'étanchéité, les boutons et modes de stimulations sont actionnés et vérifiés, la capacité résiduelle de la batterie doit être d'au moins de 70%, la prise fonctionnelle vérifiée et il y a un point de vigilance sur les échauffements anormaux lors de la charge.

"Malgré toutes nos précautions, il arrive que des défauts de fonctionnement passent au travers du diagnostic. Si cela t'arrive, nous te remboursons en intégralité ton achat", rappelle le site.

Après, les jouets intimes subissent une étape de détergence (mécanique par brossage doux) et de désinfection (immersion dans une solution à concentration contrôlée). Ils sont ensuite mis en séchage et en quarantaine pendant 48 heures. Des rinçages sont par ailleurs réalisés entre chaque étape.

"Ces méthodes ont été développées avec l'aide de laboratoires spécialisés et reprennent les étapes utilisées pour le nettoyage de Dispositifs Médicaux Réutilisables, notamment en gynécologie."

À cela s'ajoute une ultime désinfection par UV-C. "Ce rayonnement très puissant a pour effet de détruire directement l'ADN du moindre organisme qui aurait pu survivre aux étapes précédentes", est-il précisé. Enfin, le jouet est glissé dans une pochette plastique scellée par thermocollage.

Des réductions de 15% à 60% par rapport au neuf

Vient ensuite le moment de la mise en ligne et de la fixation du prix. Pour le déterminer, Rejouis prend en compte deux critères. Lors du diagnostic, une note d'état du jouet est attribuée (jamais utilisé, parfait état ou très bon état). Plus le jouet est neuf, plus il sera revalorisé.

Le Prix Minimum Neuf de Référence (PMNR) est également pris en compte. Il s'agit "d'un système de veille marché permettant de suivre les évolutions des prix neufs de l’ensemble des marques et modèles".

Sur cette base, le prix de vente est alors calculé de sorte à être toujours moins cher que le neuf, avec une réduction allant de 15% à 60%. "En moyenne, les produits sont vendus entre 30 et 140 euros à l'unité", indique Bénoni Paumier.

Patrick Pruvot pointe, cependant, une limite à ce marché encore de niche. "Actuellement, les coûts de reconditionnement sont extrêmement élevés. Le modèle économique de Rejouis est encore en réflexion", assure le fondateur des boutiques Passage du Désir.

Depuis son lancement, Rejouis connaît une croissance mensuelle de 15% et a réussi à reconditionner plus de 4.000 produits. "L'objectif à l'avenir, c'est d'étendre le réseau de boutiques partenaires pour faciliter la collecte et d'ouvrir des corners Rejouis dans ces magasins", espère Bénoni Paumier.

Emma Forton