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Retour des super-promos en supermarché: va-t-on vraiment payer moins cher les produits d'hygiène?

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Une proposition de loi remet en cause la loi Descrozaille, en application depuis 11 mois et qui interdit les promotions sur les produits d'hygiène et beauté au-delà de 34%. Cette proposition adoptée ferait-elle vraiment baisser les prix?

Bientôt -70% sur la lessive? Ce type de super-promo avait disparu des rayons il y a 11 mois, suite à l'entrée en vigueur de la loi Descrozaille, du nom du député qui l'avait proposée, également appelée loi Egalim 3.

Depuis le mois de mars 2024, cette loi limite les promotions sur les produits d'hygiène, de beauté et d'entretien à 34% maximum de la valeur de l'article (et 25% des volumes vendus), comme c'était déjà le cas sur les produits alimentaires depuis 2018.

Mais une proposition de loi déposée jeudi 13 février par deux députés, le macroniste Stéphane Travert et le député LR (Les Républicains) Julien Dive, entend réinstaurer la possibilité pour les distributeurs de faire des super-promos.

Si elle était adoptée, cette loi entraînerait-elle une baisse significative du prix de notre panier de courses? Rien n'est certain. Décryptage.

Bonne nouvelle pour les consommateurs?

En théorie, le retour des super-promos semble être une bonne nouvelle pour les consommateurs: jusqu'ici, un bidon de lessive initialement à 10 euros ne pouvait pas être vendu en dessous de 6,6 euros, en appliquant une promotion de 34%.

Si l'on revient sur la loi Descrozaille, on pourrait imaginer payer cette même lessive trois euros, en appliquant une promotion de 70%.

Néanmoins, il suffit de jeter un œil à l'évolution des prix au cours des derniers mois et de s'intéresser aux débats qui agitent distributeurs et industriels dans les négociations commerciales qui les opposent chaque année pour comprendre que la fixation des futurs prix ne sera pas si simple que cela, même dans l'hypothèse du retour des super-promos.

La grande distribution s'est farouchement opposée à la loi Descrozaille dans les mois qui ont précédé son application. Selon ses principaux acteurs, elle allait avoir pour conséquence une augmentation des prix.

Grande distribution anti-loi Descrozaille, industriels pour

La Fédération de la grande distribution avait alors dénoncé un texte "irresponsable pour le pouvoir d'achat des consommateurs", et "inflationniste". Alexandre Bompard, PDG de Carrefour, voulait en décaler l'entrée en vigueur et Michel-Edouard Leclerc proposait, dans un article sur son blog d'octobre dernier, "qu'on supprime cette loi Descrozaille qui est inflationniste".

En face, les industriels étaient plutôt pour. Il faut dire que la mesure avait été créée pour eux: la limite sur les super-promos avait pour objectif de "renforcer l'équilibre entre fournisseurs et distributeurs", selon le texte. Autrement dit, d'empêcher les distributeurs de tirer les prix trop à la baisse lors des négociations annuelles, qui fixent les prix mais également la place en rayons et ces fameuses promotions.

La loi devait profiter aux PME, même si, selon la grande distribution, elle est surtout à l'avantage de multinationales qui phagocytent le marché (par exemple, trois groupes détiennent 80% de parts de marché dans le secteur de la lessive).

Néanmoins, l'argument des défenseurs de la loi était de dire que la limite des super-promotions allait contraindre grande distribution et industriels à baisser par ailleurs les prix en rayons, pour attirer les clients.

"En dépit de l'encadrement des promotions, les prix de fond de rayon des produits qui ne seront plus soumis à ces promos massives vont probablement baisser," expliquait le député Frédéric Descrozaille.

De leur côté, les fédérations représentant les fabricants de produits d'hygiène et entretien, de produits d'hygiène-beauté, et de produits d'hygiène à usage unique avaient commandé une étude au cabinet Xerfi qui affirmait que la fin des grosses promotions aurait "un impact pratiquement invisible sur l'inflation". Alors, que s'est-il finalement passé?

Baisse (légère) des prix sur les produits d'hygiène

Les chiffres de l'institut Circana révèlent que les prix ont baissé. Les produits d’hygiène, à -2,6%, et d’entretien, à -3,3%, sont même les catégories où la tendance déflationniste est la plus forte.

Difficile de dire si ces baisses sont liées ou non à la loi Descrozaille. Elles n'ont de toute façon sans doute pas été à la hauteur des espérances. Mais force est de constater que la loi n'a pas entraîné d'augmentations de prix.

En revanche, la loi a eu un effet certain sur les comportements d'achat. Que représentent, aux yeux des consommateurs, -2 ou -3% sur le marché global, comparés à -70% sur un gel douche ou un dentifrice, même si ce type d'opérations sont ponctuelles et ciblées? Notre perception des prix ayant été impactée, la conséquence a été un net recul des ventes dans ces rayons, de l'ordre de 5,2% selon Circana.

Selon différents sondages menés par l'IFOP ou l'association Dons solidaires, face à la crise du pouvoir d'achat, les Français ont effectivement fait des arbitrages et consommé moins de produits d'hygiène/beauté. Ou alors, ils se sont détournés des grandes surfaces pour aller vers des solutions moins chères, comme les discounters.

D'où l'intérêt, pour la grande distribution, des super-promos: elles représentent un très fort enjeu marketing, dans la mesure où elles donnent l'impression aux clients de faire de bonnes affaires et les attirent en magasin.

Un enjeu marketing pour la grande distribution

Selon une étude réalisée par NielsenIQ pour Tiendeo en 2022, 3 consommateurs sur 5 se disent influencés par les promotions lors de leurs achats, et particulièrement dans les domaines de l'alimentaire et des produits d'hygiène.

D'ailleurs, les distributeurs ont tenté, tant bien que mal, de conserver l'illusion de fortes promotions tout en restant dans le cadre de la loi, par exemple en proposant "-68% sur deux produits achetés". Cela entre dans la limite de 34% par produit, tout en semblant plus intéressant dans l'esprit des consommateurs.

Mais ce contournement reste limité, d'où le souhait des distributeurs de voir la loi Descrozaille supprimée. D'autant qu'elle leur profite complètement, dans la mesure où ce sont les industriels qui supportent le coût des promotions (c'est-à-dire la différence entre le prix initial et le prix appliqué après réduction).

Si les promotions n'étaient plus plafonnées dans le secteur de l'hyigène et la beauté, secteur qui ne "présente pas les mêmes enjeux en matière de souveraineté ou de protection des producteurs", selon le texte déposé par les deux députés, la guerre des prix entre industriels et distributeurs serait sans doute encore plus âpre.

Au bénéfice réel des consommateurs? Cela reste à voir. La proposition de loi sera examinée au mois de mars.

Charlotte Méritan