Que risque-t-on à acheter les fruits et légumes vendus en bord de route ou dans les gares?

Récupérer les fruits et légumes "moches" pour les revendre à des prix attractifs, c'est la solution de l’entreprise "Les gueules cassées" pour réduire le gaspillage alimentaire. (Photo d'illustration). - Philippe Huguen - AFP
Trois avocats pour deux euros. C'est le prix annoncé par un vendeur à la sauvette, installé en plein cœur de la gare Saint-Lazare, à Paris, dans le hall qui sépare les accès aux trains et au métro. Il a installé un étal de fortune où sont exposés quelques avocats, papayes et citrons verts. Peu de produits, pour pouvoir tout remballer rapidement, au cas où.
À moins d'un euro l'avocat, ses prix défient toute concurrence. Peut-on néanmoins réellement acheter ces fruits et légumes, vendus à la sauvette dans les gares mais aussi au bord des routes ou à la sortie du métro, en toute sécurité? RMC Conso a enquêté.
Ventes irrégulières
En réalité, ces ventes de fruits et légumes sont la plupart du temps illégales, au même titre que les ventes de produits touristiques, bouteilles d'eau l'été, en pleine rue, ou balades en tuk-tuk dans Paris.
Si la loi autorise certaines ventes au déballage, elle les encadre rigoureusement: il faut que le vendeur ait fait une déclaration préalable à la mairie et à l'administration, qu'il s'acquitte d'une redevance d'occupation s'il s'installe sur le domaine public, et il ne peut pas rester plus de deux mois au même endroit.
Des éléments invérifiables pour le consommateur. Mais dans ce domaine, les irrégularités sont nombreuses et la prudence est dans tous les cas de mise.
Gare Saint-Lazare, le vendeur d'avocats à la sauvette reconnaît que son activité n'est pas légale:
"On reçoit beaucoup d'amendes... Parfois 2000, 3000 euros. C'est très dur," confie-t-il à RMC Conso.
Selon le code pénal, il risque six mois de prison et 3750 euros d'amendes. Pour des revenus de 40 euros par jour, selon lui. Un gain probablement partagé entre plusieurs personnes, puisque ces vendeurs à la sauvette sont organisés en réseaux.
Des filières organisées
"Les enquêtes montrent l'existence de filières organisées, ce qui rend les investigations complexes et longues," explique la Préfecture de police de Paris, contactée par RMC Conso.
Deux affaires d'août 2023 et août 2024, mises au jour par la police, révélaient que les vendeurs à la sauvette étaient originaires du Bangladesh, de Birmanie et d'Inde, en situation irrégulière, exploités par un réseau.
Selon la Préfecture de police, "la consommation contribue à alimenter un réseau de travailleurs aux conditions d’emploi indignes", la part revenant aux vendeurs eux-mêmes étant très mince.
Quant aux produits, ils sont extrêmement difficiles à tracer. Lorsqu'on demande au vendeur à la sauvette, gare Saint-Lazare, d'où proviennent ses avocats, il ne peut nous répondre et part à la recherche de l'emballage. Il revient avec une cagette sur laquelle il lit: "Kenya". À notre demande de précisions, il répond:
"Je vais les chercher à Rungis. Je pars tous les matins à 4 heures avec ma camionnette et je reviens ici pour les vendre."
Risque sanitaire
Les différentes enquêtes de police montrent effectivement que ces vendeurs s'approvisionnent au marché de Rungis, mais via un circuit de distribution parallèle plus complexe et organisé que veut nous le faire croire notre interlocuteur: un fournisseur se rend au marché, alimente plusieurs points de livraison tenus par des vendeurs à la sauvette qui reversent ensuite les gains issus des ventes à un collecteur d'argent.
Interrogée à ce sujet par RMC Conso, la Semmaris, la société gestionnaire du marché de Rungis, nous indique que:
"Le Marché d’Intérêt National de Rungis autorise les ventes exclusivement aux professionnels titulaires de cartes acheteurs. Celles-ci ne peuvent être délivrées que par la Semmaris aux professionnels de l’alimentation. Sans la présentation de cette carte, toute transaction commerciale est impossible et strictement interdite. "
Pour lutter contre les falsifications, vols de cartes ou complicités de grossistes au sein du marché, la Semmaris assure "mener régulièrement des opérations de répression des fraudes en étroite collaboration avec la préfecture de police et les pouvoirs publics locaux".
Si l'acheteur, lui, ne risque pas de contravention (seul l'achat de cigarettes à la sauvette est sanctionné), il s'expose toutefois à un danger d'ordre sanitaire, selon la Préfecture de police. Les conditions de stockage de ces fruits et légumes ne suivent en effet aucune des règles d'hygiène imposées par la règlementation, faisant courir le risque d'accidents alimentaires au consommateur.
"À titre d'exemple, les fruits et légumes entreposés à même le sol dans la rue, peuvent faire l'objet d'une contamination par les urines de rongeurs porteurs de bactéries dangereuses pour le consommateur," détaille la Préfecture de police.
En cas de toxi-infection, l'absence de traçabilité de ces produits ne permet pas de remonter à la source pour identifier le danger et lancer l'alerte.
Concurrence déloyale
Les primeurs, eux, estiment qu'ils subissent une concurrence déloyale. "Cela fait plus de 15 ans qu'on se bat et qu'on pointe du doigt ces vendeurs à la sauvette," expliquent Marie Daniel et Solène Chauveau, responsable communication et juriste au sein de la fédération de syndicats de commerçants de fruits et légumes Saveurs Commerce, contactée par RMC Conso.
"Les têtes de réseaux, qui les exploitent, ont accès à tous les stades de la filière et arrivent à s'approvisionner un peu partout. Ils s'associent à des acheteurs professionnels peu scrupuleux."
"Nous, en tant que primeurs, nous avons beaucoup de règlementations à respecter, une obligation de traçabilité, une formation en hygiène à faire. Eux vendent des produits déclassés, de moindre qualité, posés à même le sol... Mais il y a moins de contrôles car moins d'impact sanitaire que pour la viande," regrettent-elles.
La perte pour les commerçants locaux est estimée à 800.000 euros par an.