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Emmaüs, la Croix-Rouge, Le Relais... Que deviennent les vêtements que vous donnez?

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Chaque année, plus de 260.000 tonnes de vêtements sont collectées par plusieurs organismes. La revalorisation de ces textiles passe par le réemploi en France ou à l'étranger, le recyclage et l'incinération. Ce secteur traverse néanmoins une profonde crise qui contraint un acteur comme Le Relais à arrêter de collecter des habits usés.

Depuis ce mardi 15 juillet et dans toute la France, l'entreprise de collecte et de réemploi de vêtements Le Relais déverse devant des magasins des tonnes de textile. Devant un Decathlon à Rennes, un Kiabi à Arras ou encore des Okaïdi.

Des images impressionnantes, qui peuvent faire s'interroger d'abord sur le sort réservé à nos vêtements usagés. Et surtout, s'il ne faudrait pas les jeter aux ordures ménagères plutôt que de les donner?

Lorsqu'on en dépose dans une benne de collecte, on les imagine plus se retrouver dans une friperie que déversés sur le parking d'un magasin où ils ont potentiellement été achetés... Mais la filière de collecte et de tri des textiles est bien loin d'être aussi simple: d'après Zero Waste France, seuls 7% des vêtements collectés en 2024 ont été réemployés en France.

35% des vêtements donnés revendus à l'étranger

Mais où vont donc les 93% restants? Pour comprendre, il faut d'abord avoir à l'esprit que ces 7% qui sont réutilisés sont les textiles d'une qualité optimale. Ceux qui sont revendables facilement sur le marché de la friperie et qu'on appelle dans le jargon la "crème".

La plus grosse partie des vêtements donnés est en réalité vendue à des entreprises qui vont les exporter dans d'autres pays, généralement d'Afrique ou d'Europe de l'Est. Là-bas, ils seront revendus et réemployés.

Ce circuit représente 35% des dons. Et comme l'explique Pauline Debrabandere, responsable plaidoyer et campagnes pour Zero Waste France, "ces vêtements sont encore portables, mais pas avec une assez grosse valeur pour le marché de la seconde main".

Cet itinéraire de vêtements donnés peut surprendre. Récemment la vidéo d'un influenceur allemand qui avait placé un traceur GPS dans une paire de chaussures donnée à la Croix-Rouge a fait réagir, relève 20 Minutes dans un article. Ces baskets se sont effectivement retrouvées... dans un magasin de seconde main en Bosnie-Herzégovine. D'aucuns y ont vu une "escroquerie caritative".

Un désastre environnemental au Ghana

Ce fonctionnement est pourtant assumé et justifié par les autres associations de collecte de vêtements. Dans un communiqué datant de 2021, la Croix-Rouge française expliquait ne pas pouvoir trier l'intégralité des dons qu'elle reçoit. Ainsi, "une partie est mise de côté et récupérée par des recycleurs trieurs agréés Refashion, à un prix allant de 40 à 130 euros la tonne", explique-t-elle.

Grâce à cet argent récupéré les associations de collecte, qui fonctionnent toutes ainsi, peuvent financer leurs actions localement. Un cercle en apparence vertueux donc. Mais qui peut poser certains problèmes.

"Dans les faits, on a un peu de mal à avoir un suivi de ces tonnes de vêtements. Une partie peut être mal gérée et avoir un impact environnemental ou social néfaste dans les pays où ils se retrouvent", remarque Pauline Debrabandere de Zero Waste.

Elle fait ainsi référence aux images que l'on voit parfois de décharges remplies de textiles dans des pays pauvres. Voire de plages où sont échouées des tonnes de vêtements jetés en Europe. C'est notamment le cas au Ghana, pays submergé par le débarquement massif de textiles usagés dont une partie est revendue en fripes. Mais le reste souvent jeté. "Il faut un meilleur accompagnement pour améliorer cet export et éviter ces désastres", plaide Pauline Debrabandere.

Un quart de vêtements recyclés, et beaucoup brûlés

Nos vêtements mis dans des bennes ou donnés directement connaissent deux autres points de chute s'ils ne sont pas réutilisés. D'abord, ils peuvent être recyclés. Cela concerne environ 25% de ce qui est récupéré: des textiles trop abîmés pour être portés, mais encore d'assez bonne qualité pour qu'ils soient transformés en fibres pour la fabrication de nouvelles choses.

"Une petite partie est recyclée en boucle fermée, c'est-à-dire qu'on produira un produit similaire. Par exemple un nouveau pull à partir de laine effilochée. Mais généralement on est plutôt sur du recyclage en boucle ouverte: les fibres recyclées servent à faire d'autres objets ou matériaux", détaille Pauline Debrabandere.

Des vêtements peuvent ainsi être transformés en chiffons d'essuyage pour l'industrie, ou en matière isolante pour des bâtiments et véhicules.

Mais finalement, une grosse part des vêtements donnés est transformée en "CSR", combustibles solides de récupération, qui seront utilisés par des cimenteries ou des usines dans des chaudières et fours industriels. Quelques vêtements sont encore directement incinérés avec récupération de chaleur, et d'autres éliminés sans aucune valorisation énergétique (par exemple enfouis).

Globalement donc, vos vêtements usagés auront toujours un meilleur avenir en étant placés dans une benne pour le don plutôt que dans les ordures ménagères. Il faut donc continuer de le faire.

La filière traverse une crise profonde

Néanmoins, la filière de collecte et revalorisation des vêtements subit actuellement une crise profonde. Justement car les textiles de faible qualité représentent une part croissante. Ce qui s'explique d'abord par le fait qu'avec l'essor d'une plateforme comme Vinted, les gens préfèrent revendre plutôt que donner leurs vêtements réutilisables. Et d'autre part, avec le succès de l'ultra fast-fashion, les quelques textiles récupérés sont de mauvaise qualité.

"70% des vêtements produits dans le monde sont aujourd'hui en polyester. Or, on ne peut pas faire grand chose de ce matériau", regratte Pauline Debrabandere de Zero Waste.

Le Relais, Emmaüs, le Secours Populaire... Tous se retrouvent avec des tonnes de vêtements de qualité médiocre dont ils ne savent que faire. La part de vêtements revendus en friperies sociales et solidaires pour être réemployés a d'ailleurs diminué ces dernières années.

Les associations et organismes de collecte doivent donc de plus en plus déléguer ces textiles à d'autres entreprises pour qu'elles les recyclent ou brûlent. Or cela leur coûte de l'argent. Normalement cela est justement financé par les revenus tirés des ventes pour réemploi. Mais si ces revenus baissent, c'est le serpent qui se mord la queue.

"Ce n'est pas avec les petits 7% destinés au réemploi national qu'on peut financer le recyclage et l'incinération", synthétise la responsable d'ONG.

Une éco-contribution trop faible

La filière est dans l'impasse. C'est exactement pour cela que Le Relais a mené son action choc de déverser des tonnes de vêtements partout en France. La société de collecte s'en prend notamment à Refashion, l'éco-organisme du secteur de la mode. Cette société représentant les marques textiles est en charge de la gestion et la prévention de leurs déchets.

Dans ce cadre, elle est chargée de fixer une "éco-contribution" pour l'achat de tout vêtement. Cette sorte de taxe doit financer la fin de vie du vêtement. Elle est ainsi redistribuée aux associations et entreprises de collecte, tri et recyclage de textiles. Mais aux yeux du Relais, elle est trop faible. Actuellement de 156 euros la tonne de vêtements triés, il souhaiterait qu'elle passe à 304 euros.

Augmenter l'éco-contribution pour pouvoir recycler et surtout incinérer davantage de vêtements... Pour Zero Waste c'est un remède temporaire. Mais absolument pas une panacée. La solution est bien plus globale: "Il faut encadrer la filière textile pour qu'elle produise moins". Et que nous aussi à notre échelle nous consommions moins de vêtements neufs.

Arthur Quentin