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Grande distribution

Les magasins sans caisse vont-ils remplacer les supérettes traditionnelles et leurs caissiers?

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Tandis que Flunch vient de lancer un magasin où l'on peut acheter des plats sans passer en caisse dans le centre-ville de Lille, dans les campagnes les épiceries autonomes "API" se multiplient. Mais ce modèle peut-il vraiment s'imprégner dans nos habitudes de consommation?

On rentre, on se sert, et on ressort sans passer à la caisse. Le 15 septembre dernier, Flunch a inauguré dans le centre-ville de Lille un magasin d'un genre nouveau en France. Il s'agit de "Fa!m", son nouveau concept de restauration en vente à emporter.

À l'intérieur de cette échoppe de 45 m2 on retrouve une quinzaine de différents plats préparés, une dizaine de sandwichs, des salades, des viennoiseries et autres desserts... Mais aussi et surtout une centaine de caméras, réparties entre les murs et le plafond du magasin. Celles-ci vous scrutent de votre entrée à votre sortie du magasin, et analysent chacun de vos mouvements.

Grâce à la technologie "Just Walk Out" dont elles sont équipées, elles savent ce que j'ai pris. Et au moment de sortir, je devrai juste passer ma carte bancaire sur un terminal de paiement. Les portes s'ouvront, et je serai débité du montant des articles avec lesquels je suis reparti.

L'échec d'Amazon Go

Ce concept original est inouï en France, mais il ne date pas tout à fait d'hier. Cette technologie "Just Walk Out" a été développée par Amazon. Elle équipe déjà plus de 290 points de vente aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Australie et au Canada. Le géant du web la loue à des entreprises, c'est ici le cas avec Flunch. Mais elle l'utilise aussi pour ses propres magasins, Amazon Fresh et Amazon Go, aux États-Unis et au Royaume-Uni.

Ce concept de magasins sans caisse n'a toutefois pas été très fonctionnel jusqu'à présent. Si elle continue de proposer "Just Walk Out" à d'autres clients, l'entreprise américaine fait machine arrière avec ses propres magasins. Ce mardi 23 septembre elle a annoncé la fermeture de ses 19 magasins Amazon Fresh au Royaume-Uni... Le nombre de clients dans ces magasins, jugé insatisfaisant, a justifié cette décision.

La décision de Flunch de se lancer dans ce que l'on peut appeler le "magasin autonome" peut donc paraître à contre-courant. Les Français peuvent-ils adopter ce modèle que les Anglais et les Américains ont pourtant rejeté?

Le succès d'API à la campagne

L'enseigne de restauration peut nourrir quelques espoirs en voyant le succès d'une autre enseigne spécialisée, elle, dans l'épicerie: API. Vous n'en avez sûrement jamais entendu parler. Et c'est normal: pour le moment elle ne s'est implantée que dans des petites bourgades qui ne font jamais plus de 2.000 habitants.

Dans ces villages, cette start-up a installé des boutiques d'une quarantaine de mètres carrés, logées dans des mobil homes bardés de bois. Pour y rentrer, le client scanne un QR Code affiché sur son smartphone qui permet de l'identifier. Une fois à l'intérieur, il a accès à près de 700 références à des prix similaires à ceux des supermarchés. Des boissons, du snacking, des fruits et légumes, des produits d'hygiène et d'entretien...

Le modèle est différent de celui du magasin "Fa!m" de Flunch puisqu'à la fin, le client doit tout de même passer à une caisse en libre-service. Mais dans la mesure où cette épicerie ne compte aucun employé, on peut bel et bien parler d'épicerie autonome.

Seule une personne chargée de la gestion des stocks, la mise en rayon et l'entretien du lieu passe de temps en temps. Cet "apicier" (le nom que la société donne à cet employé) s'occupe d'ailleurs de plusieurs boutiques à la fois. Généralement deux ou trois situées dans différentes communes.

Des supérettes qui répondent à un besoin

À l'heure actuelle et trois ans après son lancement, API compte 120 supérettes quadrillant l'Ouest de la France, de la Nouvelle-Aquitaine à la Normandie. Son développement est relativement rapide: elle devrait terminer l'année à 140, et vise les 250 épiceries d'ici fin 2026. Et prévoit d'arriver dans deux nouvelles régions, les Hauts-de-France et Auvergne-Rhône-Alpes.

Il faut dire que cette start-up répond à un véritable besoin dans les territoires ruraux où elle s'implante. Des communes dépourvues d'épicerie de proximité, et où il faut donc prendre sa voiture pour se rendre dans le supermarché le plus proche. Et y aller en respectant ses horaires d'ouverture... Les supérettes API sont ouvertes sept jours sur sept, généralement de 5h à 23h.

Mais comment se fait-il qu'un tel modèle ait été développé par une petite start-up qui compte plus de points de vente que d'employés (100 collaborateurs) ? Les grandes enseignes de la grande distribution n'auraient-elles pas pu s'imposer sur ce segment? Philippe Goetzmann, expert du secteur à la tête d'un cabinet de conseil spécialisé, l'explique simplement.

"Ces entreprises que sont Leclerc, Carrefour, Auchan... ont déjà leur business historique. Développer ce type d'épicerie, ce serait créer de la concurrence à leurs propres magasins", estime-t-il auprès de RMC Conso.

L'expérience non concluante de Carrefour Flash

Frank Rosenthal, autre expert de la grande distribution, renchérit en soulignant que tous ces acteurs cherchent beaucoup plus à développer leur présence dans les centres des grandes villes. Ces derniers sont plus porteurs puisque les flux de clients y sont beaucoup plus importants que dans des communes rurales. "Pour un nouveau venu comme API, cela a du sens de combler les trous. Ils apportent une solution à ceux qui n'en avaient pas".

Pour autant, toutes ces enseignes ne sont pas simples spectatrices devant le développement des magasins autonomes. Plusieurs ont mené des expérimentations.

La plus notable fut celle de Carrefour, qui en 2021 avait lancé un magasin "Carrefour Flash" dans le 11e arrondissement de Paris. Il reposait sur une technologie assez proche de celle "Just Walk Out" d'Amazon, avec une soixantaine de caméras.

La boutique a toutefois fermé un an et demi plus tard. L'enseigne expliquait alors qu'il s'agissait d'un test, que ce magasin était éphémère et qu'il y aurait de nouvelles expérimentations. Mais pour l'heure, rien de nouveau n'a été développé. Et Philippe Goetzmann se montre sceptique quant à toute nouvelle tentative.

Au fond, quel est l'intérêt des magasins autonomes?

Il note pourtant qu'en centre-ville, dans la mesure où il y a beaucoup de potentiels clients, le modèle pourrait fonctionner dans l'idée. Mais il interroge: "quelle est réellement la valeur ajoutée d'un magasin autonome par rapport à une épicerie?".

On peut effectivement se demander ce qui pourrait faire préférer au client d'aller dans un Carrefour Flash plutôt qu'un Carrefour City. Le gain de temps? Au fond, il est relativement limité: on ne poireaute jamais vraiment si longtemps que ça dans un magasin de proximité... L'offre plus large, et la relation client que le consommateur trouve dans une épicerie traditionnelle lui feront presque toujours la préférer.

Le modèle des supérettes traditionnelles fonctionne donc déjà très bien. Carrefour, Leclerc, Auchan et consorts n'auront donc pas vraiment d'intérêt à en développer un concurrent. Qui par ailleurs leur coûterait plus cher avec toute la technologie inhérente. Frank Rosenthal relève un dernier argument contre:

"Il pourrait y avoir une résistance sociale des employés traditionnels contre le déploiement de telles boutiques. Ce serait donner un argument aux syndicats sur les pertes d'emploi".

Une utilité dans les stades et aéroports?

Malgré l'arrivée de Fa!m à Lille, le développement de magasins autonomes dans les centres-villes est donc loin d'être garanti. Mais la technologie "Just Walk Out" peut tout de même avoir un avenir dans d'autres lieux bien spécifiques.

Frank Rosenthal fait remarquer que parmi les clients louant à Amazon sa techonologie figurent des lieux où les pics de trafic sont dificiles à gérer. Les aéroports par exemple: parmi les sociétés ayant adopté "Just Walk Out" on compte Hudson, qui est en quelque sorte l'équivalent chez nous de Relay.

Autre exemple, les buvettes dans les stades. Celui de football américain de Seattle, le Lumen Field, en est par exemple équipé. Grâce à cette technologie, les spectateurs sont sûrs de ne pas rater le début du match parce qu'ils ont trop attendu pour acheter un soda. À quand la même chose au Stade de France?

Arthur Quentin