Les hypermarchés vont-ils disparaître?

Illustration d'un hypermarché Auchan à Poitiers, en mars 2025 - Photo par JEAN-FRANCOIS FORT / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP
L'enseigne de grande distribution Auchan a annoncé, mardi 16 septembre, qu'elle allait réduire la taille d'une soixantaine d'hypermarchés d'ici 2027, selon une information du média spécialisé LSA. Après avoir déclaré vouloir supprimer 2.300 emplois en novembre dernier, cette annonce sonne comme un nouveau signal de la crise du modèle de l'hypermarché.
Une problématique d'ailleurs assumée par le président du groupe Guillaume Darrasse, qui explique, dans une interview à LSA, que "18.000 m² sur deux étages, c'est devenu obsolète en termes d'organisation et de management".
Il faut dire que le modèle originel d'Auchan repose bien sur ces très, très grandes surfaces. Ses magasins sont, en moyenne, plus grands que ceux de ses concurrents (10.397 m² pour un Auchan contre 5.836 m² pour un Hyper U et 5.262 m² pour un E.Leclerc, selon les chiffres de LSA). Or son chiffre d'affaires au m² est inférieur à celui de ses concurrents (7.973 euros contre 8.502 pour un Hyper U et 9.561 pour un E.Leclerc).
Y a-t-il un lien de cause à effet? C'est en tout cas le pari d'Auchan qui entend diviser par deux la surface de certains magasins pour arriver autour de 8.000 m² en moyenne. Un pari qui part du constat, pronostiqué depuis le début des années 2000 par l'expert de la consommation et directeur de l'ObSoCo (Observatoire société et consommation) Philippe Moati, que le modèle de l'hypermarché traverse une crise profonde.
Un modèle qui a (mal) vieilli
"C'est un paquebot qui coule lentement," métaphorise-t-il auprès de RMC Conso.
"Les racines du problème sont profondes et même si on ne parle pas d'effondrement, puisque 90% des Français y font toujours leurs courses, il y a bien une crise qui est multifactorielle."
D'ailleurs Auchan n'est pas la seule enseigne à traverser des difficultés. En attestent la grosse restructuration de Casino en 2024 ainsi que la disparition de Cora en fin d'année dernière. Et si Guillaume Darrasse emploie le terme "obsolète" pour parler du modèle de l'hypermarché, ce n'est pas un mot choisi par hasard.
"L'hypermarché est né dans les années 1960, en 1963 précisément, en plein pendant les Trente Glorieuses. C'est un concept de masse pour une société de consommation de masse. Or la société a évolué," explique Philippe Moati.
L'hypermarché a grandi dans une période faste et était alors le symbole d'une certaine abondance. La possibilité de trouver de tout, et sous le même toit, à des prix compétitifs, était une idée novatrice et correspondait à un public relativement homogène.
"Aujourd'hui, on a des consommateurs qui sont hétérogènes, qui ont des attentes différentes, entre ceux qui recherchent les petits prix, ceux qui recherchent la provenance locale, le bio, etc. On est désormais dans une ère du 'commerce de précision', tandis que l'hyper fournit la même chose à tout le monde," souligne l'expert.
Offres plus segmentées
Magasins discount, commerces de proximité, enseignes spécialisées... Dans une société plus segmentée, les consommateurs recherchent de plus en plus des offres ciblées, quitte à multiplier les lieux d'achats. Selon une étude Kantar d'avril 2025, chaque foyer fréquente en moyenne 9 enseignes différentes pour faire ses courses.
Par ailleurs, l'arrivée d'Internet a permis d'apporter des solutions à la lourde corvée que représentent les courses et au temps perdu en magasin, à arpenter des rayons trop larges et à patienter au sein de files d'attente en caisses trop longues. Le drive, qui consiste à commander en ligne et aller chercher ses courses en voiture, explose. Les ventes en drive ont été multipliées par deux depuis 10 ans.
"Le drive est un service que les enseignes ont été obligées d'intégrer: le pionnier était Leclerc et les autres s'y sont mis pour rester dans la course," indique à ce sujet Philippe Moati, en notant que même s'il remet en question le concept d'hypermarché, le drive ne lui nuit pas dans la mesure où il fait partie de l'écosystème de l'enseigne. Quant aux sites de e-commerce, hors enseignes, qui se lancent dans l'alimentaire, ils restent encore très minoritaires sur le marché.
En revanche, les sites de e-commerce dans les achats non-alimentaires prédominent et conduisent à la disparition progressive de ces rayons en hypermarché. En quatre ans, les activités "bazar" et non-alimentaires ont baissé de 14% en valeur selon Circana. Conséquence, certains hypermarchés suppriment l'électroménager de leur offre, d'autant que le rayon requiert beaucoup d'espace.
L'hypermarché du futur
On peut enfin dire que les tendances à la déconsommation, la fin du modèle de la famille traditionnelle, ainsi que la défiance vis-à-vis des grandes enseignes, qui incarnent, pour une partie de la population, un système capitaliste injuste, participent à la baisse de fréquentation des hypermarchés.
Si cette dernière est une réalité, puisque le poids des hypermarchés dans le marché total des produits de grande consommation est passé de 41,4% en 2014 à 36% en 2025, elle est malgré tout à nuancer: ils restent leaders sur les circuits de distribution alimentaires et 90,9% des Français les fréquentent selon NielsenIQ.
"Les hypermarchés ne vont pas disparaître, cela serait idiot de le penser, affirme Philippe Moati. Mais ils vont évoluer. Cela fait déjà 25 ans au moins qu'ils sont en mutation."
Alors, à quoi ressemblera l'hypermarché du futur? Des surfaces plus petites, des magasins plus spécialisés avec des offres ciblées, ou bien des rayons bien dissociés entre petits prix, produits locaux, snacking... Ce qu'on voit d'ailleurs déjà apparaître avec la multiplication de l'offre de snacking dans les supérettes de centre-ville (chez Monoprix bien sûr mais aussi, de plus en plus, chez Carrefour ou Intermarché).
Mais aussi des solutions plus efficaces en termes de parcours client: des systèmes de livraison rapide, l'optimisation des caisses pour y réduire l'attente, etc.
Avec, malgré tout, l'obsession de rester dans l'esprit des consommateurs un lieu où les prix sont maîtrisés. Car le prix est bel et bien la préoccupation numéro 1 de ces derniers au moment de faire leurs achats.