Huile, beurre, lait... Ces aliments contiennent de l'hexane, un dérivé du pétrole: est-ce dangereux?

Les huiles contiennent de l'hexane, une substance jugée dangereuse (photo d'illustration). - Christophe SIMON / AFP
"Un scandale bien dissimulé"... L'organisation internationale de protection de l'environnement, Greenpeace, révèle, dans une enquête publiée ce mardi 22 septembre, que de nombreux aliments de notre quotidien sont contaminés à l'hexane.
Très peu connu aujourd'hui du grand public, il s'agit pourtant d'un solvant dérivé du pétrole qui est utilisé par les industriels pour fabriquer des huiles végétales et des produits destinés à l’alimentation animale. Problème, "les risques pour la santé publique sont majeurs", alerte Greenpeace. Sur 56 produits testés, 36 contiennent des résidus d'hexane.
Si le sujet a été remis sur le devant de la scène, c'est aussi grâce à la sortie le 18 septembre dernier du livre "De l’essence dans nos assiettes" par le journaliste d’investigation Guillaume Coudray, qui a dénoncé "un secret de Polichinelle" autour de cette substance.
En octobre 2024, le député MoDem du Loiret, Richard Ramos, a aussi pointé du doigt sa présence dans les aliments. "Qui imagine, en faisant une vinaigrette, qu’elle contient un hydrocarbure?", a-t-il déclaré.
Il a d'ailleurs déposé un amendement dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) afin de demander la mise en place d’une taxe sur les producteurs d’hexane.
Mais alors, qu'est-ce que l'hexane? Comment y êtes-vous exposés? Quels sont les aliments concernés? Quels sont les risques pour votre santé? Et quelles sont les solutions à envisager? RMC Conso vous explique tout ce qu'il faut savoir.
Quel processus?
Les graines oléagineuses (colza, tournesol, soja, etc.) jouent un rôle central dans notre alimentation grâce à leur richesse en graisses et en protéines. Dans l’industrie agroalimentaire, les graines sont d'abord pressées, puis traitées avec un solvant, très généralement de l’hexane, pour en extraire leur matière grasse. Celles-ci sont transformées en huiles alimentaires ou intégrées dans la composition de nombreux produits comme les laits infantiles ou la margarine.
L'hexane permet également d'obtenir des tourteaux, une pâte sèche et compacte, pleine de protéines, qui reste après que l’huile a été extraite des graines. Ils servent de base à l’alimentation des animaux d’élevage, après les céréales. "Près de 90% des tourteaux produits en France aujourd’hui le sont dans des usines ayant recours à l’hexane", est-il constaté dans l'enquête.
Des résidus d’hexane se retrouvent ainsi dans l'atmosphère, dans les huiles végétales, mais aussi dans les produits issus des animaux qui ont consommé des tourteaux contaminés (beurre, lait, oeufs, poulet...). "30 à 60% des pertes se retrouvent dans les tourteaux et 2 à 6% dans les huiles alimentaires", indique l'étude. Les travailleurs dans les usines et les consommateurs y sont donc exposés.
Si ce solvant est autant utilisé, c'est avant tout pour sa rentabilité et l'importance de son rendement. "L’usage de l’hexane permet d’extraire environ 97% de l’huile de la graine, contre 89% par le recours à des moyens mécaniques seuls", précise Greenpeace. Une option qui, bien sûr, ne satisfait pas les industriels qui ont toujours pour objectif de maximiser leurs profits.
C'est notamment le cas du groupe Avril (Lesieur, Puget), qui est mis en cause dans l'enquête. Celui-ci est en quasi situation de monopole, avec plus de la moitié des graines oléo-protéagineuses triturées en France qui sont transformées par le groupe. Neuf graines sur dix sont transformées dans des usines utilisant de l’hexane. Résultat: "en 2024, 6 tonnes se sont retrouvées dans les huiles et 60 tonnes dans les tourteaux", avance Greenpeace.
"Par sa centralité au sein du secteur des oléoprotéagineux, Avril rythme l’organisation et pèse fondamentalement sur les orientations stratégiques de l’ensemble de la filière française", dénonce l'organisation internationale.
Quels aliments?
Le problème de l'hexane, c'est qu'il n'est pas mentionné dans la liste des ingrédients sur l'emballage de vos produits. Et pour cause, il est aujourd'hui classé comme un "auxiliaire technologique" par les réglementations européennes et échappe donc à toute obligation d'étiquetage.
Pour davantage se rendre compte de son impact, Greenpeace a fait réaliser par un laboratoire universitaire une série de tests sur plusieurs produits du quotidien: huiles de tournesol ou de colza, beurres, laits y compris infantiles, poulet etc. "Près de deux tiers des produits testés, 36 sur 56, sont contaminés à l’hexane", affirme l'enquête.
Voici les produits concernés:
- Huiles Isio 4 Lesieur
- Huiles Simply Carrefour
- Huiles Coeur de Tournesol Lesieur
- Huiles Fleur de Colza Lesieur
- Le beurre gastronomique doux Président
- Le beurre gastronomique demi-sel Président
- Le beurre tendre doux Elle & Vire
- Le beurre tendre demi-sel Elle & Vire
- Le beurre de Bretagne doux Les Croisés – Marque repère de Leclerc
- Le beurre moulé doux Paysan Breton
- Cuisses de poulet Monoprix
- Lait infantile Blédina de 1 à 3 ans
- Lait infantile Gallia de 1 à 3 ans
- Lait infantile en poudre Blédina de 6 à 12 mois
- Lait demi-écrémé Lactel
- Lait demi-écrémé Délisse – Marque Repère de Leclerc
Dans les dix bouteilles d’huiles testées, des concentrations allant de 0,04 à 0,08 mg/kg ont été détectées. C’est en dessous des seuils réglementaires (1 mg/kg) mais ceux-ci sont décrits comme "peu ambitieux" voire obsolètes par Greenpeace et par l'Autorité européenne de Sécurité des Aliments (EFSA).
Pour les beurres, les résidus d’hexane sont compris entre 0,02 mg/kg et 0,06 mg/kg et sont retrouvés dans la plupart des marques de supermarchés. Comme pour le poulet, dans lequel l’hydrocarbure a été détecté dans un des neuf échantillons, et tous les autres produits d’origine animale, aucune réglementation n’encadrant la présence de solvants.
Comme le dénonce l'étude, "il est extrêmement inquiétant de constater que des bébés peuvent être exposés quotidiennement à un solvant neurotoxique reconnu, sans qu’aucune étude scientifique n’ait évalué les effets de cette exposition sur leur santé, ni à court ni à long terme".
"Les produits sélectionnés ne couvrent pas l’ensemble des rayons fréquentés par les Français. Nous sommes donc très inquiets à l’idée que ces résultats puissent s’étendre à un éventail encore plus large de gammes et de marques de produits. Le niveau d’exposition de la population à l’hexane est très largement sous-estimé par les autorités", alerte Greenpeace.
Pour autant, celle-ci se montre mesurée. "Il est néanmoins important de noter que même lorsque de l’hexane est détecté dans un produit, cela ne signifie pas pour autant que d’autres échantillons de ce produit en contiennent systématiquement, de même qu’il est possible que certains produits dans lesquels Greenpeace n’a pas détecté d’hexane puissent en contenir au sein d’un autre échantillon."
Quels risques?
Avant que ne se pose la question de l’exposition au solvant par notre consommation alimentaire, son effet délétère sur les travailleurs était déjà bien connu. Dès les années 1970, l’exposition à l’hexane a été listée comme cause de maladies professionnelles dans plusieurs pays européens, dont la France en 1973.
Les ouvriers des usines de chaussures, de peintures ou d’huileries exposés à de fortes doses ont alors été victimes de paralysie des bras, de vertiges, de vomissements.
En 1980, une enquête auprès des travailleurs d’une usine d’alimentation pour animaux, Ralston Purina, aux États-Unis, a montré que plus de la moitié d’entre eux avaient des irritations des yeux et du nez et des maux de tête. "Sa toxicité est donc officiellement reconnue, et ce, depuis plus de cinquante ans", assure l'enquête.
Plus récemment, en 2009, 137 ouvriers ont été intoxiqués aux vapeurs d’hexane et de benzène dans des usines chinoises de sous-traitants du groupe Apple. Quatre en sont morts. Ce scandale a conduit la multinationale à cesser d’utiliser des nettoyants contenant de l’hexane pour ses écrans d’iPhone.
L’hexane est aussi un solvant "fortement explosif et inflammable" qui menace les travailleurs du secteur. Des centaines d’accidents graves liés à son inhalation ont été répertoriées dans la base ministérielle Aria (Analyse, Recherche et Information sur les Accidents).
En tant que consommateurs, vous êtes potentiellement en contact très régulièrement et de manière diffuse avec ce solvant toxique. Que ce soit pour faire cuire vos aliments à l’huile, pour réaliser une vinaigrette, pour des tartines beurrées ou encore pour nourrir votre bébé, l’hexane se retrouve dans de nombreux produits alimentaires du quotidien. D'autant que ces aliments représentent plus d'un tiers des produits les plus consommés par les Français.
L'hexane peut contenir cinq composés. Parmi eux, "le n-hexane est le plus préoccupant du point de vue sanitaire", indique Greenpeace. Et il peut en contenir jusqu'à 85% pour la fabrication des produits alimentaires.
"Le n-hexane est principalement connu pour être une substance neurotoxique et CMR [cancérogène, mutagène, reprotoxique] par l'Agence européenne des produits chimiques, car soupçonnée de nuire à la fertilité, et d’être un perturbateur endocrinien", explique dans l'enquête Christian Cravotto, chercheur postdoctoral au sein de l’unité de recherche et de développement agro-biotechnologies industrielles d’AgroParisTech.
En 2024, le n-hexane a été reclassé de "neurotoxique suspecté" à "neurotoxique avéré" pour l’être humain par l’Agence européenne des produits chimiques. Et l'hexane a également des conséquences sur l'environnement, en terme de pollution, mais aussi sur les animaux.
"Si les animaux d’élevage sont souvent abattus trop jeunes pour que l’on puisse détecter d’éventuels effets délétères chroniques liés à la consommation d’hexane, des études récentes suggèrent l’existence de lésions hépatiques chroniques chez les bovins nourris avec des tourteaux extraits à l’hexane, et ce, notamment par rapport à des bovins nourris avec des tourteaux extraits avec un solvant alternatif", détaille l'enquête.
Faut-il pour autant s'inquiéter? Comme le pointe L'Express, alors que l'inhalation de vapeurs dans les usines a été avérée, il n’existe aucune étude épidémiologique à ce jour sur les effets de l’ingestion d’hexane à faible dose notamment. En effet, les doses ingérées par l'alimentation seraient vraisemblablement très inférieures à celles inhalées dans un contexte d’exposition professionnelle par voie respiratoire.
"Bien qu’il n’existe pas de valeur toxicologique de référence par voie alimentaire, l’Europe a fixé des limites maximums de résidus admissibles pour les huiles et graisses végétales de consommation qui sont d’un milligramme par litre. En admettant que nous consommions 100 ml d’huile par jour, ce qui est déjà conséquent, et qu’elle serait contaminée à hauteur de 1 mg/litre, nous avalerions donc 0,1 milligramme d’hexane par jour", tempère l'épidémiologiste Luc Multigner, qui a participé aux travaux de l’Anses sur l’hexane.
Quelles solutions?
"Il n'y a aucune alerte sanitaire concernant l'hexane", a réagi auprès de l'AFP Hubert Bocquelet, de la Fédération nationale des corps gras, qui représente les industriels du secteur. "Dire qu'il y a du pétrole dans les assiettes est complètement faux. L'hexane est éliminé, il n'est plus présent dans les produits mis à la consommation si ce n'est sous forme de traces résiduelles."
De son côté, Greenpeace appelle l’État à prendre ses responsabilités "pour protéger la population". Celle-ci a lancé une pétition et liste dans son enquête une série de recommandations, notamment "l'interdiction de l’utilisation de l’hexane dans tous les produits alimentaires français, qu’ils soient à destination des êtres humains ou des animaux d’élevage, et en vertu du principe de précaution". Mais aussi l'interdiction d'importer et de vendre des produits contenant des résidus d'hexane.
L'organisation internationale demande également l’étiquetage obligatoire des "auxiliaires technologiques", dont l’hexane, sur tous les produits. Elle appelle aussi les pouvoirs publics à soutenir les méthodes d'extraction sans hexane déjà existantes, comme les techniques artisanales par pression à froid et les techniques industrielles d’extraction mécanique et de pressage à chaud.
Greenpeace recommande de soutenir la filière biologique, dont l'utilisation d'hexane est interdite, mais aussi de reprendre les "recherches sur sa toxicité chronique et les analyses sanitaires pour évaluer l’exposition de la population à ce produit".
En France, une mission parlementaire va être lancée, à partir de ce mercredi 24 septembre, selon une annonce du député Richard Ramos. L'objectif, "informer, sensibiliser et préparer l'interdiction de ce solvant au profit de solutions respectueuses de la santé et de l'environnement".
La Commission européenne a, par ailleurs, mandaté l'Autorité européenne de sécurité des aliments pour une réévaluation complète. "Ce travail tiendra compte de l’exposition orale aux résidus d’hexane provenant de toutes les sources alimentaires", a-t-elle assuré à L'Express. Le rapport final devrait être rendu d’ici décembre 2027.