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Face aux délais pour obtenir une date de permis de conduire, l'enfer des élèves et des moniteurs

Des véhicules d'auto-écoles sont stationnés sur la place des Quinquonces à Bordeaux, le 11 février 2019. (Illustration)

Des véhicules d'auto-écoles sont stationnés sur la place des Quinquonces à Bordeaux, le 11 février 2019. (Illustration) - GEORGES GOBET / AFP

De nombreux élèves mais aussi moniteurs d'auto-écoles se plaignent des délais pour obtenir une place d’examen au permis de conduire, qui ne cessent de s'allonger. Cette situation critique pénalise de nombreux jeunes dans leur vie personnelle et professionnelle. Et épuise les monieurs, qui se mettent en grève ce lundi.

Quelque chose a changé dans les auto-écoles ces derniers temps. Moniteur dans les Hauts-de-Seine, Guillaume Saligot a constaté que les parents n'étaient plus préoccupés par la même chose au moment d'inscrire leur enfant au permis de conduire.

"La première chose qu'on me demande ce n'est plus le coût de la formation, mais en combien de temps je pourrai leur trouver une date d'examen...", constate celui qui enseigne la conduite depuis plus de huit ans.

C'est effectivement un problème pour des dizaines, voire centaines de milliers de jeunes souhaitant avoir leur permis B. Partout en France, mais en particulier dans les grandes agglomérations où le nombre de candidats est encore plus important, les délais pour obtenir une place d’examen au permis de conduire ne cessent de s'allonger.

Le sujet n'est pas né de la dernière pluie. Aux yeux du fondateur de l'auto-école en ligne En Voiture Simone, Édouard Rudolf, cela a toujours été le cas.

"Chez nous en France c'est un problème structurel. Les délais ont toujours été longs. Mais là, on constate que c'est de pire en pire", rapporte celui qui est également vice-président de la Fédération des Enseignants et Auto-Écoles d’Avenir.

Plus de candidats, mais toujours autant d'inspecteurs

Cette aggravation de la situation, il l'attribue en partie à une nouveauté mise en place le 1er janvier 2024: le permis à 17 ans. Cette mesure a fait arriver plus de 200.000 nouveaux candidats à l'examen du permis de conduire. Alors qu'en parallèle, le nombre d'inspecteurs n'a pas ou très peu augmenté.

De plus en plus de jeunes se bousculent donc au portillon pour passer le permis. En 2024 d'après les chiffres du ministère de l'Intérieur, 2.131.694 examens pratiques du permis de conduire ont été passés (toutes catégories confondues). Cela représente une progression de 2,4% par rapport à 2023.

Si le taux de réussite s'est légèrement amélioré pour le Permis B par rapport à l'année dernière, passé de 56 à 58,2%, il reste relativement faible. Beaucoup d'élèves sont donc contraints de le repasser. Et ça, c'est une double peine pour tout le monde.

Pour ceux qui l'ont raté bien entendu, puisqu'ils vont devoir patienter à nouveau de longues semaines: le temps d'attente pour obtenir une nouvelle date est d'en moyenne 80 jours. Mais de fait, même ceux qui veulent le passer pour la première fois sont affectés par les échecs des autres puisque cela crée toujours plus d'embouteillages.

Des délais qui pénalisent sur le plan professionnel

Ces délais incommensurables sont préjudiciables à bien des égards. D'abord cela les pénalise sur le plan personnel et professionnel. OpinionWay a effectué un sondage pour En Voiture Simone, mené auprès d'un échantillon de 1.005 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 à 24 ans.

D'après cette étude, le permis de conduire est un sésame indispensable pour l'épanouissement des jeunes: 89% d'entre eux estiment qu'il est important pour leur vie personnelle. Et 85% estiment qu'il l'est pour leur vie professionnelle ou étudiante.

Guillaume Saligot raconte avoir eu un élève qui devait avoir son permis pour pouvoir partir faire une formation en Australie.

"Il attendait d'avoir sa date d'examen, mais ça a mis plus de temps que prévu. On a fait le maximum pour que les choses s'accélèrent, mais ça n'a pas suffi. Cela se joue au niveau préfectoral", regrette le moniteur.

Un problème financier pour beaucoup de candidats

L'autre gros problème avec ces délais toujours plus longs est financier. Généralement, la demande d'une date d'examen s'effectue au moment où l'élève approche de la fin de sa formation. Avant les 4 ou 5 dernières heures par exemple (légalement, la formation à la conduite doit être de 20 heures au minimum).

Sauf que les délais pour obtenir une date sont parfois si longs que l'élève a fait ses dernières heures légales sans même qu'on ne lui ait donné de rendez-vous pour passer son permis. Il se retrouve donc dans une période pouvant durer plus de deux mois, où il a le choix entre continuer de prendre des leçons pour maintenir son niveau mais payer plus cher. Ou mettre la conduite en pause en attendant d'avoir enfin une date. Mais risquer ainsi de perdre son apprentissage, et être moins en confiance le jour de l'examen...

Christophe Saligot raconte que pour continuer de s'entraîner sans avoir à payer, certains élèves vont jusqu'à conduire de leur côté, sans permis. Un choix particulièrement dangereux, et à ne pas faire: "s'ils se font contrôler ou ont un accident, ils sont très mal".

Des moniteurs d'auto-école agressés physiquement

Enzo Probst, jeune étudiant de 19 ans vivant en Seine-Saint-Denis n'a pas été jusque-là, mais a été confronté à des problèmes avec son permis. Inscrit dans une auto-école de sa ville, celle-ci lui a fait faire en tout près de 45 heures. Il a malheureusement raté son permis lors de sa première tentative, et son établissement lui a dit qu'il devait attendre six mois avant de pouvoir le repasser.

"Cela ne me paraissait pas normal. Ils voulaient me refaire prendre des leçons pendant ce délai, mais mon permis aurait alors été un vrai gouffre financier. Et si je ne faisais rien, j'allais oublier les fondamentaux, mes réflexes de conduite", raconte-t-il.

Finalement il claque la porte de son auto-école pour s'inscrire dans une autre, mais dans un autre département, dans les Yvelines. Les délais sont longs, mais tout de même beaucoup moins: trois mois. Et six heures supplémentaires lui suffisent pour finalement obtenir son permis en août dernier.

Certains candidats au permis de conduire sont loins d'avoir cette patience... Édouard Rudolf affirme que dans certaines auto-écoles physiques, des élèves exaspérés vont jusqu'à agresser physiquement leur moniteur...

Un climat de tension qui épuise les professionnels du secteur. Pour alerter les pouvoirs publics, de nombreux professeurs à travers toute la France ont décidé de se mettre en grève ce lundi 29 septembre.

Plus d'inspecteurs, un permis moins sévère?

Que peut faire l'État pour améliorer la situation? Une solution mise en avant par tous est de mettre de l'argent sur la table pour former et recruter davantage d'inspecteurs, ce qui permettrait de faire passer plus de candidats. Selon le ministère de l'Intérieur, les besoins sont estimés à environ 200 nouveaux fonctionnaires dans le pays.

Certains acteurs du secteur, parmi lesquels Édouard Rudolf, suggèrent que les inspecteurs soient moins sévères dans certains cas.

"Il y a beaucoup d'élèves qui ont une conduite quasi irréprochable lors de leur examen, qui ont tous leurs points, mais qui font une faute éliminatoire à cause du stress. Nous pensons que si cette faute n'a pas été dangereuse, il ne faut pas être bête et méchant et recaler l'élève", argue-t-il.

Il plaide pour que dans ce genre de situation, le permis soit accordé à condition que l'élève refasse cinq heures de conduite supplémentaires pour retravailler le point précis où il a fauté. D'après ses estimations, 150.000 personnes par an pourraient avoir leur permis de cette manière. Ce qui désengorgerait déjà bien la situation.

Arthur Quentin