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Dans les coulisses de Noz, premier destockeur de France: comment obtiennent-ils des prix si bas?

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Les entreprises de discount et de destockage ont la cote. Le marché représente 10 milliards d'euros. Dans cet écosystème, Noz, seule enseigne à faire 100% de destockage, se démarque par ce modèle particulier.

-60% sur Casa, -70% sur Camaïeu, -80% sur Bayard... Ce sont quelques unes des promotions promises par l'enseigne Noz, lorsqu'elle revend des articles de marques en liquidation judiciaire.

Chaque fois les opérations font grand bruit: les dénicheurs de bonnes affaires s'y précipitent, et les détracteurs du modèle dénoncent une attitude de "vautour" de l'enseigne qui rachète à moindre coût les possessions d'entreprises en faillite.

Dans les deux cas, le sujet fait réagir et participe à faire connaître le premier destockeur de France, qui, après un passage à vide en 2022, a connu une belle croissance de 11% en 2024. Il espère ouvrir 20 nouveaux magasins par an, pour accueillir ses trois millions de visiteurs mensuels.

Mais comment l'enseigne parvient-elle à récupérer tous ces stocks d'invendus, et à proposer des prix aussi compétitifs? RMC Conso s'est glissé dans les coulisses de Noz, au siège social, à Laval, en Mayenne, là où plusieurs centaines de salariés s'affairent pour décrocher les lots auprès de fournisseurs divers, avec en ligne de mire l'objectif d'être les moins chers du marché. Reportage.

"Une centrale d'achat avant d'être des vendeurs"

À quelques kilomètres du centre de Laval, le siège social de Noz est un immense bâtiment de 10.000m² quasi entièrement ouvert sur un atrium, où se succèdent des bureaux en open-space rassemblés selon le métier (marketing, achat...) et la catégorie de produits (art de la table, linge de maison, chaussure...).

Dans les coulisses de Noz, à Laval, en Mayenne
Dans les coulisses de Noz, à Laval, en Mayenne © Charlotte Méritan

C'est ici que les lots, qui seront ensuite répartis et commercialisés dans les 340 magasins de l'enseigne, sont détectés par des acheteurs à l'affût. En tout cas en partie, car Noz a également du personnel partout dans le monde pour repérer de potentiels fournisseurs étrangers.

"Nous sommes une centrale d'achat avant d'être des vendeurs, c'est notre cœur de métier et c'est notre singularité," affirme d'emblée Marine Coïc, directrice des opérations.
"Nous identifions des fournisseurs qui ont des problématiques de surstock et nous leur apportons une solution, en récupérant leurs invendus."

Invendus qui peuvent être des fins de série, des modèles des saisons passées fabriqués en surnombre, des produits à date courte en ce qui concerne l'alimentaire, etc. Aucune catégorie de produits n'est laissée de côté, si ce n'est le frais, trop compliqué à gérer. On trouve chez Noz de la nourriture, de la décoration, des vêtements, des produits de beauté, un peu d'high-tech, etc.

Chaque fois que l'enseigne convoite un lot, elle en reçoit d'abord un échantillon, qu'elle étudie sous toutes les coutures: poids, matériau, finitions... Ces objets divers habillent les larges bureaux. Ici, un portant de vêtements, là, des ustensiles de cuisine... Un petit salon qu'on pourrait croire à destination des salariés en pause, mais non: les trois sièges et la table basse sont autant d'échantillons à tester.

Dans les coulisses de Noz, à Laval, en Mayenne
Dans les coulisses de Noz, à Laval, en Mayenne © Charlotte Méritan

Le but: les comparer au reste du marché afin de trouver leurs équivalents chez la concurrence. Et déterminer leur prix, nécessairement moins élevé qu'ailleurs, priorité numéro 1.

Être les moins chers

"C'est un modèle particulier dans lequel on détermine le prix de vente avant le prix d'achat, car il faut qu'on soit les moins chers. On ne parle pas systématiquement de petit prix, mais de bonne affaire, toujours," explique Marine Coïc.

Exemple avec une poêle en aluminium: Théo, responsable marketing de la catégorie objets de cuisson, scrute l'outil, le sous-pèse, le compare à plusieurs autres poêles du marché, pour conclure: l'équivalent est une marque de distributeur vendue 29,49 euros. Chez Noz, elle sera à 12,99 euros, concession nécessaire pour respecter la promesse de l'enseigne, être la moins chère, de 56% sur cet ustensile.

Dans les coulisses de Noz, à Laval, en Mayenne
Dans les coulisses de Noz, à Laval, en Mayenne © Charlotte Méritan

Mais pour celà, encore faut-il que le fournisseur accepte le prix auquel Noz entend acquérir le lot, c'est-à-dire son prix de vente, diminué des frais annexes (transport, logistique...), et de sa marge, gardée secrète.

"C'est difficile de vous donner un chiffre, ça dépend des produits, c'est variable... Mais notre chiffre se fait plus sur les volumes vendus que sur la marge," justifie Marine Coïc.

Pour remporter l'affaire, il faudra dans tous les cas faire une meilleure offre que les concurrents, de plus en plus nombreux. Action, Stokomani, Centrakor... Des enseignes de discount qui font aussi du destockage, même si ce n'est pas le coeur de leur activité.

Il est alors essentiel d'entretenir des relations cordiales, presque amicales, avec les fournisseurs. Anne-Sophie Destrebecq, acheteuse spécialisée textile, négocie au téléphone avec une responsable de marque pour l'achat d'un lot.

Dans les coulisses de Noz à Laval, en Mayenne
Dans les coulisses de Noz à Laval, en Mayenne © Charlotte Méritan

L'affaire semble déjà quasi bouclée: tutoiement et éclats de rire ponctuent la conversation. Même si le sujet est sérieux et pas complètement dénué de tensions: Anne-Sophie a baissé le prix moyen par pièce, depuis leur dernier "deal". Son interlocutrice lui fait poliment remarquer.

"On achète du risque"

Elle accepte malgré tout la proposition: 86.336 pièces pour un total de 322.000 euros. C'est Noz qui prendra en charge le transport, et le stockage jusqu'à ce que ces vêtements, issus d'une ancienne collection printemps-été, puissent arriver en boutique.

"J'ai peut-être un peu forcé," lâche Anne-Sophie dans un sourire à l'issue de l'appel. Mais c'est le jeu de la négociation. "Quand on reprend un stock comme celui-là, avec uniquement des tailles extrêmes (XS ou XL), de vêtements d'il y a trois ans donc avec un décalage de style et en contre-saisonnalité, on achète un risque. C'est un transfert de risque."

"Nous sommes pour nos fournisseurs l'ultime option, on arrive en dernier ressort, après qu'ils ont tenté les soldes, les ventes en ligne..."

Depuis 2022, il est interdit de détruire les invendus. "On apporte une solution à un problème," ajoute Marine Coïc, qui voit dans ce modèle une participation à l'économie circulaire, car "on ne fabrique rien, on ne fait que vendre ce qui existe déjà." Ce qui n'est finalement pas vendu par Noz non plus est revendu à d'autres destockeurs.

Malgré tout, Noz n'aurait pas de raison d'être si la surproduction n'existait pas. Par ailleurs, faire des courses au sein de l'enseigne répond plus à une envie de shopping soudaine qu'à un réel besoin: on ne sait jamais ce qu'on va trouver en magasins, les stocks étant renouvelés toutes les quatre semaines en fonction des arrivages. Cela participe à l'aspect ludique de l'expérience, mais pose la question de l'incitation à surconsommer.

Pas de publicité

Impossible de savoir à l'avance quelles marques sont présentes en rayons, à part celles qui font l'objet d'une liquidation judiciaire (seulement 10% du chiffre d'affaires de Noz selon Marine Coïc): les griffes en bonne santé financière n'ont pas envie de communiquer sur leur besoin de destocker.

"La discrétion, c'est notre premier engagement," assure l'acheteuse textile. Et si le mot d'ordre "motus et bouche cousue" est bien respecté, les influenceurs "bons plans", de plus en plus nombreux sur les réseaux sociaux, se chargent de faire à Noz une publicité gratuite sur ce qu'on trouve en rayons... Pratique.

Car alors qu'il y a quelques années, faire ses courses chez les discounters ou les destockeurs était mal perçu, c'est devenu aujourd'hui le symbole de "l'achat malin du consommateur futé", selon les mots de Marine Coïc.

Noz communique en revanche sur les lots rachetés à des entreprises défaillantes, qui n'ont plus besoin de cette discrétion. En ce moment, 44 magasins reçoivent les livraisons d'objets de décoration CASA Belgique, qui est en liquidation judiciaire.

Les entrepôts seront vidés un peu chaque jour jusqu'à cet été. Une semaine après le début de l'opération, 67% de ce qui avait été mis en rayons était déjà écoulé... Même sans vraie publicité, le mot est visiblement bien passé chez les consommateurs futés.

Charlotte Méritan