3,8 millions de Français payent l'électricité et le gaz plus cher que les autres, êtes-vous concerné?

Un pylône électrique à côté d'une maison. (image d'illustration) - Mychèle Daniau - AFP
Qu'ont en commun les habitants de Strasbourg, de Gignac dans l'Hérault, ou encore du petit village de Rosoy dans l'Oise? Ils ne peuvent pas, ou alors très difficilement, changer de fournisseur d'électricité. Et ils ne sont pas les seuls. En tout, 3,8 millions de personnes en France, soit un peu plus de 5% de la population, seraient concernées.
Cette spécificité s'explique par le fait que dans ces communes, la distribution de l'électricité n'est pas gérée par Enedis comme dans les 95% restants de la France. Mais par des entreprises locales de distribution, ou ELD.
En 2024 on en comptait 132. 110 consacrées uniquement à l'électricité, mais aussi 5 consacrées au gaz et 17 mixtes, c'est-à-dire fournissant à la fois électricité et gaz à leurs communes.
Des ELD créées en même temps qu'EDF
Il en existe certaines particulièrement importantes, comme Électricité de Strasbourg (ÉS) ou Gaz Élecricité de Grenoble (GEG). Mais aussi de bien plus modestes, comme la SICAE Oise qui regroupe environ 200 petites communes du département. Ou parfois des régies ne gérant la distribution que pour une commune (comme dans la ville de Gignac, susmentionnée).
Mais d'où viennent ces structures aux tailles si disparates? Frédérique Feriaud, directrice générale au Médiateur national de l'énergie, explique que c'est un héritage de l'histoire.
"En 1946, la loi de nationalisation de l'électricité et du gaz créait EDF et GDF (devenu Engie). Mais cette loi offrait aux collectivités la possibilité de conserver leur rôle dans la distribution de l'énergie. Certaines en ont donc profité pour garder l'indépendance de leur réseau", retrace-t-elle.
À l'époque donc près de 300 ELD sont créées. Mais depuis certaines ont fusionné entre elles, ou alors sont rentrées dans le giron Enedis ou GRDF pour la gaz.
En quasi monopole
Pendant longtemps la coexistence de ces ELD avec les distributeurs d'énergie nationaux ne posait pas de problème. Mais depuis 2007, les marchés de l'énergie sont ouverts à la concurrence. Et pourtant ces distributeurs locaux bénéficient d'un quasi monopole sur leur territoire.
Les chiffres le montrent. À l'échelle nationale, environ 32% des clients résidentiels ont quitté EDF pour aller chez un fournisseur alternatif (TotalEnergies, Ohm, Octopus...). Mais si l'on regarde dans des régions gérées par des ELD, la pénétration de ces fournisseurs est quasi inexistante. À Strasbourg, 98,5% des clients sont chez ÉS; à Metz 98,2% sont chez UEM (Usine d'électricité de Metz); à Grenoble, 97,4% sont chez GEG.
Ces situations peuvent poser problème. Frédérique Feriaud affirme que chaque semaine, le Médiateur national de l'énergie reçoit des messages de clients d'ELD "se plaignant de ne pas pouvoir changer de fournisseur". Et qui souhaitent en prendre un moins cher, ou parfois simplement avec un autre service client.
Mais comment l'expliquer alors que ces territoires ont pourtant bien, eux aussi, été ouverts à la concurrence? Dans certains comme à Strasbourg, il existe d'ailleurs bien deux ou trois fournisseurs alternatifs.
Compliqué de s'implanter pour les fournisseurs alternatifs
Concrètement d'après Frédérique Feriaud, pénétrer un marché dominé par une ELD relève pour un fournisseur alternatif du parcours du combattant.
D'abord cela pose des problèmes informatiques. Les entreprises locales de distribution utilisent généralement leurs propres systèmes d'information (SI), qui sont parfois bien différents de ceux d'Enedis. S'y adapter est donc complexe, et représente certains coûts pour les fournisseurs alternatifs. D'autant que d'après Frédérique Feriaud, les ELD n'ont pas tout de suite été enclines à les accueillir et leur partager leurs systèmes informatiques.
"Je pense qu'au début de l'ouverture à la concurrence, il y a eu une certaine résistance des ELD qui ne voulaient pas qu'on marche sur leurs plates-bandes. Mais elles sont de plus en plus pointées du doigt par l'Autorité de la concurrence et la Commission de régulation de l'énergie. Depuis quelques années elles œuvrent donc davantage pour harmoniser leurs SI avec ceux nationaux".
Une barrière est donc en train de se lever. C'est pour cela qu'on a par exemple vu arriver à Strasbourg Ekwateur en 2018, ainsi que Ohm Énergie plus récemment en avril 2025.
Mais une fois arrivés sur place, encore faut-il réussir à faire son trou. Pas toujours évident. Car même s'il existe toujours des clients lassés de l'ELD qui n'hésiteront pas à le délaisser au profit du nouvel arrivant, la plupart des consommateurs ne s'en préoccupent pas plus que cela.
Réussir à se faire connaître et être moins cher
D'après l'Autorité de la concurrence, les fournisseurs locaux comme ÉS à Strasbourg, UEM à Metz ou GEG à Grenoble bénéficient d'une inertie naturelle. Et d'une forte habitude de consommatrion des ménages locaux, qui sont même parfois attachés à leur entreprise locale, quand bien même ils pourraient avoir une offre plus économique.
Ainsi, les débuts d'Ekwateur à Grenoble (où ce fournisseur s'est établi en 2017) ont été compliqués. À l'époque en un an, il n'a attiré que 250 nouveaux clients. Pour s'implanter dans une zone couverte par une ELD, il faut donc prévoir un budget communication pour se faire connaître. Et garantir des prix intéressants pour le consommateur.
Peut-être qu'Ohm Énergie y parviendra? Le fournisseur alternatif a mené une importante campagne de promotion pour son arrivée dans l'Est. Et d'après une simulation effectuée sur le comparateur du Médiateur national de l'énergie, sa meilleure offre peut faire économiser 42 euros par rapport au tarif bleu d'ÉS.