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Que vaut le vin rouge à 1,66 euro la bouteille vendu chez Carrefour?

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À l'occasion de sa foire aux vins de printemps, Carrefour propose une bouteille de Bordeaux AOP à 1.66 euro. Un prix qui interroge sur la qualité du produit et la juste rémunération des acteurs de la filière.

Après les Bordeaux à 1.89 euro proposés par Lidl, c'est au tour de Carrefour de proposer une offre à 1.66 euro pour un Bordeaux AOC, à l'occasion de sa foire aux vins qui a lieu du 19 mars au 1er avril prochain. Vendue à 2.49 euros seule, la bouteille de marque "Comte de Maignac" embouteillée par la Maison Johanés Boubée passe à 1.66 euro avec l’offre 4 achetées et 2 offertes. S'ajoute à cela l'obtention de 10 euros de bons d’achat par tranche de 60 euros d'achat de vins et de spiritueux, mais seulement pour les titulaires de la carte Pass du groupe Carrefour.

Mais que vaut réellement cette offre? La qualité du vin est-elle au rendez-vous? Quid de la rémunération des viticulteurs? RMC Conso a interrogé Bastier Mercier, vice-président du collectif de viticulteurs Viti 33.

La foire aux vins de Carrefour a lieu entre le 19 mars au 1er avril
La foire aux vins de Carrefour a lieu entre le 19 mars au 1er avril © Carrefour

"Une qualité correcte, mais sans plus"

Carrefour est loin d'être la première enseigne de grande distribution à proposer des bouteilles de Bordeaux à un tarif aussi bas. "Il y a eu Lidl à 1.89 euro, Leclerc à 1.89 euro, Aldi à 1.99 euro et Auchan à 1.99 euro. Il y a tout le monde", dénonce Bastien Mercier. Cette course au prix le plus bas désole le viticulteur de métier qui affirme que les vins proposés sont "de qualité correcte, mais sans plus".

"Quand les viticulteurs ont des difficultés financières qui se pointent, ils font tout afin de réduire les dépenses pour que le produit coûte moins cher à produire. Le vin n'est par conséquent pas affiné", explique-t-il.

Les clients se voient proposer des vins à la qualité "correcte", alors même que les producteurs ont amélioré leurs techniques durant les dernières années.

"Il y a une évolution de la qualité du Bordeaux depuis plusieurs années. C'est par ailleurs le meilleur vin en termes de rapport qualité/prix. Mais tous ces efforts risquent de s'estomper à cause de ce genre de prix ", explique-t-il.

Des tonneaux bradés et des viticulteurs lésés

Contacté par RMC Conso, Carrefour affirme que la rémunération des viticuteurs est maintenue, malgré le prix cassé de ces bouteilles. L'enseigne affirme que "le prix de 1.66 euro la bouteille est un prix promotionnel financé en intégralité par Maison Johanès Boubée et n’affecte en rien la rémunération des viticulteurs".

"C'est un mensonge", réagit Bastien Mercier, qui dénonce le faible coût d'achat des tonneaux de vins par les enseignes de grande distribution et notamment par Carrefour.

"Aujourd’hui, on parle tous d’un coût de revient, calculé par la chambre d’agriculture, de 1.300 euros le tonneau en moyenne pour couvrir nos frais de production, sans gagner d'argent. Carrefour les a achetés à 850 euros", avance-t-il.

Le vice-président de Viti33 regrette l'absence de prix rémunérateurs pour les producteurs. Selon lui, les enseignes de grande distribution "se battent pour savoir qui sera la moins chère et la plus outrancière". Il rappelle qu'une bouteille qui se vend à moins de 3 euros, "ça n'est pas normal".

Les Français délaissent le vin

Selon un article d'RTL signé par d'Olivier Dauvers, journaliste et spécialiste de la grande distribution, ce prix s'explique par un "problème d’ajustement entre l’offre, pléthorique, et la demande, en forte baisse".

En effet, alors que la consommation de vin des Français est en baisse depuis plusieurs années. En 2022, les consommateurs réguliers du vin représentaient près de 11% de la population, soit 5 points de moins par rapport à la précédente étude de 2015, selon une enquête réalisée par Ipsos Observer pour FranceAgriMer et le Cniv. "Beaucoup de Français se sont tournés vers la bière", observe le viticulteur.

Mais face à cet effondrement de la consommation de vin, l'offre, elle, reste conséquente. Comme le rappelle Olivier Dauvers, la France est le deuxième producteur mondial de vin, juste derrière l'Italie. Et même si une partie de la production française est exportée, près de deux tiers des stocks sont dédiés à une consommation nationale et donc stockés dans les caves, selon le spécialiste. Mais stocker ces bouteilles coûte cher.

"Alors, à un moment, il faut que ça dégage, quel qu’en soit le prix. Voilà pourquoi nous consommateurs pouvons profiter d’un Bordeaux à moins de 2 euros. Et à ce prix-là, cela ne doit pas être un château prestigieux", écrit le journaliste.

De son côté, Bastien Mercier craint que ce rejet des Français pour le vin, notamment le Bordeaux, mène à une régression en termes d'efforts fournis par les viticulteurs pour "produire des vins moins alcoolisés, plus ronds et plus fruités". "Nos efforts se font sabrer avec des prix comme ceux-là", conclut-il

Sabrine Mimouni