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Comment Danone justifie l'abandon du Nutri-Score sur ses yaourts à boire

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Danone vient d'annoncer le retrait du Nutri-Score sur ses yaourts à boire. Le changement d'algorithme, qui considère désormais ces produits comme des boissons sucrées, n'est, selon le groupe, pas cohérent.

Le géant de l’industrie agroalimentaire Danone vient d’annoncer qu’il allait retirer le Nutri-Score de ses yaourts à boire. Pourtant pionnière de l'utilisation de ce logo sorti en 2017, qui note la qualité nutritionnelle des produits de A à E, la marque n'est pas d'accord avec le nouveau mode de calcul de ce dernier. Explications.

Changement d'algorithme

Sept ans après la sortie de sa première version, le comité de pilotage du Nutri-Score a annoncé que l'algorithme allait changer, début 2024.

Dorénavant, le Nutri-Score ne se limite plus à la quantité de graisse ou de sucre des aliments pour juger de leur intérêt nutritionnel, mais prend en compte également la qualité de ces derniers: les huiles végétales sont mieux notées qu'avant, tandis que les aliments qui contiennent des édulcorants voient leur note baisser à cause des risques qu'ils présentent pour la santé.

Autre nouveauté, objet de la gronde de Danone, les boissons lactées et yaourts à boire sortent de la catégorie "aliments" pour rejoindre celle des "boissons". Or ce changement n'est pas anecdotique: il fait chuter la note des yaourts à boire et des boissons végétales.

L'explication est simple: le Nutri-Score compare les produits d'une même catégorie. Jusque-là les yaourts à boire étaient comparés aux yaourts solides, qui se mangent à la petite cuillère, aux crèmes desserts, etc.

C'est la raison pour laquelle leur Nutri-Score était bon, en A ou en B: comparés aux yaourts, ils ont les mêmes propriétés nutritionnelles et comparés aux crèmes dessert, ils sont même meilleurs car moins sucrés. Tandis qu'une crème dessert à la vanille contient 13 grammes de sucre pour 100 grammes de produit, un yaourt à boire à la vanille n'en contient "que" 8,6.

Les yaourts à boire passent de A à D

En entrant dans la catégorie des boissons, les yaourts à boire sont désormais comparés à l'eau, au lait, aux jus de fruits et aux sodas. Le yaourt à boire étant forcément beaucoup plus sucré que l'eau et le lait, et tout aussi sucré que les jus de fruits voire que les sodas, sa note chute et passe de A à D ou de B à D.

Une classification jugée incohérente par Danone. "Dans la catégorie boissons, il n'y a que l'eau qui puisse avoir la note A, or on ne pourra jamais comparer un yaourt à boire à de l'eau", fustige un porte-parole, contacté par RMC Conso.

"On ne consomme pas un yaourt à boire comme de l'eau ou comme un soda. Vous ne buvez pas un Actimel pour vous hydrater..."

Du côté du comité scientifique, la décision est motivée par les usages de consommation de ce type de produit.

"La version à boire ne se consomme pas de la même manière qu'un yaourt ordinaire, souvent en dehors des repas et peut amener à une surconsommation chez les enfants ou les adolescents," estime Serge Hercberg, professeur à Sorbonne-Paris-Nord et père du Nutri-Score, interrogé par nos confrères du Parisien.

Pour Clara Smadja Levy, diététicienne-nutritionniste à Paris, jointe par RMC Conso, les deux arguments peuvent s'entendre.

"Je peux tout à fait conseiller à mes patients de prendre un Actimel en tant que produit laitier, au petit-déjeuner par exemple. Mais il ne faut pas en abuser, car c'est un aliment qui contient beaucoup de sucre," explique-t-elle.

"Le risque, avec ces yaourts à boire, c'est que les enfants en boivent comme ils boiraient un soda, en rentrant à la maison après l'école, et en ayant l'impression de consommer quelque chose de plus sain. Mais 250mL de yaourt à boire en une seule prise, c'est trop."

Trop de sucre

La bouteille de skyr à la vanille 270mL contient par exemple 23 grammes de sucre, quand l'Organisation mondiale de la santé recommande de ne pas en consommer plus de 25 grammes par jour.

Selon la nutritionniste, la portion individuelle de 100 grammes de produit est correcte. Mais attention à la tentation de s'en servir un verre plus important, qui entraînerait une surconsommation de sucre. D'autant que les versions liquides de ces yaourts, à avaler sans mâcher, plus rapides à consommer qu'un yaourt solide, sont moins rassasiantes.

Des arguments que réfute Danone, pour qui le nouveau Nutri-Score donne des informations erronées. Résultat, le groupe préfère retirer le logo de ses produits liquides, tout en le conservant sur ses produits solides qui, eux, voient leur note inchangée.

"On a à cœur d'informer les consommateurs sur les valeurs nutritionnelles de nos produits, mais le Nutri-Score ne fait pas référence à l'échelle européenne alors que nous sommes un groupe mondial. Nous étudions d'autres outils comme le HSR [le système d'étiquetage nutritionnel australien, ndlr]," nous précise Danone.

Moins de transparence pour les consommateurs

La nouvelle passe mal du côté des associations de consommateurs, qui reprochent à Danone son rétropédalage. Foodwatch a mis en ligne une pétition demandant au gouvernement de rendre le Nutri-Score obligatoire.

"La crainte d’une moins bonne note ne doit pas être une porte ouverte pour renoncer à donner une information claire et accessible qui aide les consommatrices et consommateurs à faire de meilleurs choix pour leur santé," écrit l'association sur son site internet.

Le Nutri-Score n'est en effet pas obligatoire, et appliqué au bon vouloir des industriels. On estime qu'environ 60% des marques l'affichent. Mais ce n'est pas la première fois que l'une d'elles fait marche arrière: fin 2023, Bjorg avait décidé de retirer le Nutri-Score de ses produits. Selon l'UFC-Que Choisir, ses biscuits et boissons végétales allaient voir leur note dégradée avec le changement d'algorithme.

D'autres marques pourraient, dans les mois à venir, prendre la même décision. Le nouvel algorithme n'est pas encore en vigueur: l'arrêté qui devait être initialement publié en juin dernier a été suspendu.

Après sa publication au Journal officiel, les industriels auront deux ans pour changer leur étiquetage... Ou bien décider de le retirer, au détriment des consommateurs, plongés dans la confusion d'informations nutritionnelles peu claires et difficiles à décrypter.

Charlotte Méritan