Comment des œufs ukrainiens atterrissent-ils dans les rayons des supermarchés français?

Cette photographie prise le 6 octobre 2023 montre des œufs, à Paris. (Illustration) - JOEL SAGET / AFP
En faisant vos courses ces derniers mois, vous êtes peut-être tombés sur des œufs affichant une origine assez peu conventionnelle: "Ukraine". Souvent vendus à un prix particulièrement attractif. En moyenne 6 euros le plateau de 30 œufs, soit à peine 20 centimes l'unité.
Sauf que d'après le Comité National pour la Promotion de l’Œuf (CNPO), ces produits "ne respectent pas les normes de production européennes". Dans un communiqué publié ce jeudi 28 août, l'interprofession du secteur en France souligne que ces œufs peuvent contenir des antibiotiques interdits. Et dénonce leur commercialisation.
Mais quels magasins au juste ont vendu ces œufs ukrainiens? Le CNPO a principalement ciblé deux enseignes: Carrefour et Leclerc. Le site d'actualité agricole Réussir affirme qu'Aldi en a également commercialisé. Alors dans combien de magasins environ?
Plusieurs supermarchés épinglés
Difficile à dire. D'autant qu'auprès de l'AFP, Carrefour dément et affirme "qu'il ne commercialise aucun œuf d'origine ukrainienne". Pourtant plusieurs vidéos montrent que cela a bien été le cas. D'abord une du syndicat agricole Coordination rurale, dans un magasin du Pas-de-Calais le 12 juin dernier.
Mais plus tôt encore, le 9 juin, c'est le journaliste spécialiste de la grande distribution Olivier Dauvers qui en a trouvé dans l'hypermarché Carrefour de Pontault-Combault en Seine-et-Marne.
Leclerc de son côté a admis avoir commercialisé de tels œufs. Mais minimisé en affirmant que cela était le cas d'un seul magasin qui "a eu une initiative regrettable" et qui "ne correspond absolument pas à la politique d'achats de l'enseigne". Difficile à vérifier, néanmoins dans son article sur le sujet Réussir fournit une photographie de ces œufs, prise dans un Leclerc "de l'Ouest de la France" ce mois d'août.
Dans son communiqué, le CNPO affirme que la commercialisation de ces œufs est dénoncée depuis le printemps 2025. Laissant imaginer que le sujet serait assez récent. Mais en réalité le sujet ne date pas d'hier: cela fait plusieurs années que l'Union européenne et donc la France importent ces œufs.
L'Ukraine a une production excédentaire d'œufs, et exporte depuis toujours une part relativement importante de sa production vers l'UE. Dans un article du site de la chambre d'agriculture de Bretagne, il est indiqué qu'en 2019 près de 30% des œufs pondus en Ukraine étaient exportés.
Suspension des droits de douane sur les œufs en 2022
Cette production exportée a chuté en 2021 et 2022, en raison à la fois de tensions sur le marché local et de la guerre déclenchée par la Russie. Mais les exportations vers l'UE ont brusquement rebondi dès l'année suivante, et pour cause: en juin 2022 l'UE a suspendu les droits de douane d’entrée dans l’UE pour un certain nombre de produits ukrainiens, dont les œufs. L'Ukraine représentait donc 61,4% des importations d'œufs de l'UE, contre 24% en 2020.
Au début, ces œufs se destinaient principalement à l'agro industrie. Mais avec l'inflation et des problèmes de production dans certains pays, ils ont commencé à se retrouver dans les rayons.
C'est notamment le cas de la France donc, pourtant première productrice en Europe avec 15,4 milliards d'œufs pondus en 2024 selon les chiffres du CNPO. Sauf que la consommation d'œufs augmente beaucoup chez nous: un Français en mange en moyenne 224 par an, soit 24 de plus qu'il y a 20 ans.
La production ne suit pas cette hausse de la consommation, d'autant qu'elle est en pleine phase de transition. En effet comme l'explique Réussir dans une autre article, la filière souhaite mettre fin à la commercialisation d’œufs issus de poules élevées en cage.
Droits de douanes et quotas rétablis
En juin 2024, quelques mois après les importantes manifestations d'agriculteurs dans plusieurs pays de l'UE, les droits de douanes sur certains produits agricoles ukrainiens ont été rétablis. Parmi lesquels les œufs. Les agriculteurs étaient exaspérés de la concurrence "déloyale" que leur faisait ces produits "non conformes aux normes européennes" et beaucoup moins chers.
Le rétablissement de ces droits de douane n'a pas changé grand chose. Ces œufs ukrainiens sont si peu chers, que même avec des taxes (ainsi que leur coût de transport) ils restent particulièrement attractifs. En juin 2025, l'Union européenne est allée plus loin en imposant des quotas sur les importations de plusieurs produits agricoles. Blé, maïs, poulet... et donc œufs.