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Le bio va-t-il disparaître?

Les ventes de produits bio ont augmenté de 10,5% dans les enseignes spécialisées depuis le début de l'année (photo d'illustration).

Les ventes de produits bio ont augmenté de 10,5% dans les enseignes spécialisées depuis le début de l'année (photo d'illustration). - -

Après une période compliquée initiée avec le Covid, le marché du bio repart à la hausse depuis le début de l'année. Mais selon une récente étude, la filière pourrait être amenée à disparaître à plus long terme. Est-ce un scénario possible? Explications.

Entre 2012 et 2020, le marché du bio a progressé de manière quasi continue. Des produits comme le lait, les œufs, et les fruits et légumes sont ainsi devenus emblématiques de l’offre bio.

Avec la pandémie de Covid, le marché du bio a connu des années difficiles, à cause notamment de l'envolée des prix de l'alimentation. Il a subi un repli de 0,5 % en 2021, puis de 4,6 % en 2022. Le marché s’est ensuite stabilisé en 2024.

Une augmentation de 10,5% des ventes

Mais depuis le début de l'année, les ventes de produits bio ont augmenté de 10,5% dans les enseignes spécialisées telles que Biocoop, Naturalia ou La Vie Claire. En grande distribution aussi, les produits bio sont revenus dans les ventes. Des données du panéliste Circana, citées par LSA Conso, affirment qu'au second semestre 2024 les volumes de produits d'épicerie bio ont progressé de 2%. Tandis que les autres reculaient de 2%.

Comme nous l'expliquions dans cette analyse, plusieurs raisons peuvent expliquer la relance du marché du bio. D'abord, une plus grande accessibilité avec des prix qui n'augmentent plus autant qu'il y a quelques années (seulement 1% de plus par rapport à l'année dernière), et la hausse du montant des paniers moyens.

Grâce à un climat favorable, les productions sont bien reparties, ce qui a pu faire baisser les prix sur certains produits. Le secteur s'est également concentré: beaucoup de magasins ont disparu avec la crise du bio, au profit de ceux qui ont résisté.

Les consommateurs ont également de plus en plus la volonté de consommer mieux. Et les magasins de plus petit format les séduisent davantage que les hyper et supermarchés.

Pour autant, une étude prospective du Ceresco et du Crédoc commandée par le ministère de l'Agriculture, l'Agence bio et FranceAgriMer et relayée par Les Échos, vient récemment de mettre en garde contre le risque de disparition de l'agriculture biologique en France d'ici à 2040. Mais est-ce que c'est une perspective envisageable à l'avenir? RMC Conso vous explique.

Deux scénarios mènent à la disparition du bio

L'étude dresse quatre scénarios d'évolution de la production biologique en France. Le premier scénario met la croissance économique au coeur des préoccupations politiques.

Les préoccupations environnementales sont, quant à elles, secondaires dans les politiques publiques, tout comme dans les habitudes d'achats des consommateurs. "Dans ce contexte, les produits bio disparaissent des rayons de la grande distribution, et le tissu économique spécialisé se délite", soumet l'étude.

La production agricole bio se recentre sur une clientèle fidèle et au fort pouvoir d’achat. Certains produits alimentaires atteignent des prix très élevés. Le pouvoir d’achat des citoyens se réduit, la précarité alimentaire augmente et des mouvements sociaux dénoncent la hausse des inégalités. "En 2040, le label biologique européen n’existe plus", se clôture ainsi ce premier scénario.

Un autre scénario se termine par cette même issue. La multiplication des crises liées au changement climatique engendre une prise de conscience des enjeux environnementaux, au sein de la population et des entreprises, et elle se renforce dans l’action publique.

"Ils accompagnent le déploiement d’itinéraires techniques environnementalement plus ambitieux, mais moins exigeants que ceux de l’AB. Toutes ces initiatives structurent progressivement, à grande échelle, une 'troisième voie '", est-il expliqué.

En quelques années, cette troisième voie devient la démarche de référence en matière de bienfaits pour l’environnement. Parallèlement, la crise qui a touché le secteur bio au début des années 2020 se poursuit. Les produits biologiques perdent des parts de marché, et seule une faible part de consommateurs continue à en acheter: des jeunes diplômés informés et engagés, et des personnes plus âgées convaincues de longue date. Le nombre de producteurs chute, les déconversions sont nombreuses et il n'y a qu'une petite frange d’agriculteurs bio qui se maintient.

Parmi les autres raisons non explicitées dans les scénarios, il y a la diminution chaque année depuis 2021 des surfaces agricoles dédiées au bio. En 2023, par exemple, elles ont baissé de près de 30%.

Aussi, il y a l'inflation qui pousse les consommateurs vers des produits premiers prix ou avec des labels écoresponsables moins exigeants. Le label AB est par exemple concurrencé par d'autres labels comme HVE (Haute Valeur Environnementale) ou Zéro Résidu de Pesticides.

La filière peut aussi s'imposer

Pour autant, l'étude se montre tout de même nuancée et propose deux autres scénarios plus positifs pour l'avenir du bio.

D'abord, dans un scénario, la prise de conscience des enjeux environnementaux est de plus en plus générale et un accord international ambitieux est conclu. Un nouveau Green Deal fixe des objectifs environnementaux, avec notamment la sortie des produits phytosanitaires. Des taxes sur les intrants sont mises en place.

"Pour limiter l’inflation alimentaire, les pouvoirs publics poussent les acteurs économiques à rationaliser les processus tout au long de la chaîne de valeur : réduction de la largeur de gamme, augmentation des volumes par référence, mutualisation des outils de collecte, etc.", détaille l'étude.

Le cahier des charges du bio européen est assoupli sur certains aspects. Le nombre d’exploitations et d’entreprises engagées dans l’AB repart donc à la hausse. Mais les modifications du cahier des charges font néanmoins débat. Certains acteurs ne s’y reconnaissent plus et préfèrent créer des démarches privées.

Le dernier scénario met en avant des politiques agricoles, environnementales et sanitaires qui convergent vers une logique "une seule santé " (One Health), englobant les santés humaine, animale, végétale et celle des écosystèmes.

L’AB devient progressivement la norme à atteindre en matière de production agricole et l’Agence Bio se fait le relais de plus en plus actif des nouvelles politiques. La transition est aussi encouragée financièrement par l'UE et le cahier des charges bio devient la référence pour la politique agricole commune.

D'autres pistes sont aussi évoquées: des aides graduées selon les pratiques, un taux de présence des produits bio dans les commerces alimentaires et dans la restauration collective, un nouveau score sur les aliments etc. "À l’horizon 2040, l’ensemble des acteurs développent une activité bio. L’agriculture conventionnelle reste néanmoins majoritaire", d'après l'étude.

"Poursuivre sa croissance"

Comme le rappelle l'étude, "ce sont des anticipations à portée illustrative qui explorent différents futurs probables d’ici 2040. Ils décrivent des trajectoires d’évolution volontairement contrastées et ne prétendent pas décrire à l’avance la réalité".

Mais alors, quelle hypothèse serait la plus plausible? Ni la disparition ni la domination, mais un marché du bio qui aurait toute sa place, selon Benoît Soury, directeur du bio pour le groupe Carrefour et du réseau de 130 magasins spécialisés Bio C' Bon et So.bio.

"Nous avons une vision différente de cette étude. Nous sommes convaincus que la vente de produits bio va poursuivre sa croissance en volume en magasins spécialisés d’une part, et d’autre part, reprendre sa croissance dans les grandes et moyennes surfaces rapidement", nous assure-t-il.

D'après lui, à terme, la consommation de produits bio en France devrait peser de l’ordre de 15 milliards d'euros de chiffres d'affaires, soit plus ou moins 5% de la consommation alimentaire française, et avec un poids de 50% pour la grande distribution.

Et pour cause, "les études consommateurs attestent du maintien d’un intérêt fort des consommateurs pour le bio, avec une aspiration au mieux manger, et d'une demande en croissance depuis la fin de l'hyper-inflation", pointe-t-il. Près de neuf Français sur dix consomment bio au moins occasionnellement.

La France dispose toujours d'une base solide: plus de 10% de la surface agricole encore cultivée en bio, soit environ 2,7 millions d’hectares, 60.000 exploitations bio et près de 200.000 personnes employées au total.

Elle a également d'autres atouts "pour rester l'un des pays leader, comme un réseau de distribution très large avec 2.500 magasins spécialisés, une présence dans 100% des GMS, des ventes directes à la ferme et des sites internet dédiés", défend Benoît Soury.

Le bio est aussi soutenu dans la restauration collective, les crèches, les cantines scolaires, les hôpitaux, etc. Celui-ci avance également "un équilibre production-consommation unique en Europe", mais aussi un cadre réglementaire européen solide.

"Le cahier des charges bio est le seul véritable rédigé au niveau européen, contrôlé par des organismes indépendants et reconnu par près de 99% des Français, mais aussi dans le monde entier", souligne-t-il.

Benoît Soury regrette, cependant, la dissolution de l'Agence Bio au sein de France Agrimer, la réduction de 60% de ses investissements de communication et de 50% de son soutien au fond Avenir Bio.

Au contraire, "iI serait plutôt judicieux de maintenir un effort d’investissement sur la communication positive autour du bio. De notre côté, nous comptons bien poursuivre notre investissement dans les années à venir", conclut le directeur du bio pour le groupe Carrefour.

Emma Forton