Lidl et Aldi relancent la baguette à 29 centimes: un prix aussi bas, comment c'est possible?

Des baguettes exposées dans le panier d'une boulangerie (Photo d'illustration) - Flickr - CC Commons
Souvenez-vous: en 2022, une polémique éclate autour du prix du pain. L'enseigne Leclerc fixe le tarif unique de 29 centimes pour les baguettes vendues dans ses supermarchés et déclare bloquer ce prix pour six mois. Lidl finit par s'aligner. Toute la filière blé, des céréaliers aux boulangers, s'insurge.
Avec l'inflation qui a atteint, dans le secteur alimentaire, plus de 20% entre début 2022 et 2024, le prix de la baguette en supermarché est toutefois remonté. Selon une récente enquête de l'UFC-Que Choisir, il est, en 2025, de 55 centimes en moyenne.
L'initiative prise par Lidl, rapidement suivie par Aldi, de fixer à nouveau le prix de la baguette à 29 centimes en cette rentrée 2025 marque donc un tournant: avec un tarif abaissé de quasiment 20% (elle était jusqu'ici à 35 centimes), la baguette Lidl est à la fois le symbole d'une opération marketing de rentrée centrée sur le pouvoir d'achat et la relance de la guerre des prix entre enseignes, mais aussi la preuve que l'inflation alimentaire est définitivement derrière nous.
Prix en baisse ou guerre des prix?
En juillet 2025 selon l'INSEE, les prix de l'alimentation sont stables. En ce qui concerne le pain plus spécifiquement, la baisse des cours du blé (autour de 190 euros la tonne contre 230 en 2023) est un élément d'explication. Mais pas le seul, puisque les boulangers affirment que la matière première ne pèse pas très lourd dans le coût final (entre 15 et 20% des coûts de production). D'ailleurs, la baisse du prix du pain ne s'observe qu'au supermarché et pas en boulangerie.
Bien sûr, l'enjeu marketing de la baguette à 29 centimes est élevé. "Cette baguette à 29 centimes s'inscrit dans une campagne 'prix sacrés' avec des baisses de prix sur plusieurs produits emblématiques de la consommation sur lesquels nous sommes les moins chers du marché," explique à RMC Conso Thomas Braun, directeur des achats chez Lidl. La baguette à 29 centimes cible un public à la recherche de prix les plus bas possibles, et particulièrement en cette période de grosses dépenses qu'est la rentrée.
"On s'adapte à l'environnement concurrentiel pour ne pas se laisser distancer et rester dans la course," ajoute-t-il, preuve que la guerre des prix est toujours la raison sous-jacente à une opération en faveur du pouvoir d'achat.
Le problème, c'est que cette tendance à tirer les prix vers le bas creuse l'écart entre la grande distribution et les artisans boulangers. Tandis que le prix de la baguette en supermarché baisse depuis un an, celui de la baguette en boulangerie augmente pour s'établir à environ 1,09 euro, selon les relevés de l'UFC-Que choisir.
Des coûts de production différents
Un tel décalage a plusieurs explications. Celle qui revient généralement est la différence de qualité. En termes de composition, difficile de comparer: dans les deux cas, de la farine (origine France, assure Lidl), de l'eau, de la levure, du sel. Et de potentiels additifs qui sont également autorisés en boulangerie, dont il est difficile de connaître la teneur exacte (seule la baguette tradition est encadrée et garantie sans additifs).
Même si Dominique Anract, président de de la Confédération nationale de la boulangerie-pâtisserie, joint par RMC Conso, avance que "dans le pain industriel on ajoute du gluten pour que la pâte tienne et qu'elle puisse être congelée".
La congélation est d'ailleurs ce qui différencie principalement les deux types de baguette puisqu'en supermarché, il s'agit de pâtons surgelés et précuits, tandis qu'en boulangerie, la baguette est fabriquée sur place.
Cette différence a un impact sur l'aspect, la texture, le goût du pain, tout comme le procédé de fabrication en lui-même, pour Dominique Anract:
"Les artisans boulangers pétrissent plus longtemps, façonnent eux-mêmes, cuisent leur pain sur place, parfois il y a un processus de fermentation qui prend plusieurs heures," détaille-t-il.
"En grande distribution, ils peuvent sortir 10.000 baguettes par jour tandis qu'un boulanger c'est 400 à 600."
Résultat, des rendements bien plus importants pour le pain industriel, fabriqué en usine plus rapidement, et grâce à du matériel automatisé qui permet également d'importantes économies en termes de main d'œuvre.
"La main d'œuvre, c'est plus de 40% de nos coûts de production," insiste le président de la Confédération nationale de la boulangerie-pâtisserie.
"Chez nous, la baguette c'est une production à forte volumétrie, un modèle opérationnel très efficace qui permet d'importantes économies d'échelle," confirme Thomas Braun, de Lidl. Des volumes qui permettent également d'obtenir des tarifs attractifs sur le prix de la farine.
Faible marge
Le prix du blé, c'est néanmoins un point de tension entre grande distribution et boulangers. Pour Dominique Anract, "la grande distribution détruit la chaîne de valeur, abîme la filière du blé français". Un reproche déjà mis en avant par Christiane Lambert, l'ancienne présidente de la FNSEA, en 2022.
Il estime par ailleurs que "pour la grande distribution, la baguette est un produit d'appel, ils n'en ont pas besoin pour survivre, ils se fichent que ce ne soit pas rentable, donc ils vendent à perte, ils ne répercutent pas les charges fixes dans le prix final, alors que les boulangers, oui."
La vente à perte est illégale, et Lidl réfute la pratiquer: "nous faisons bien la marge que nous impose la loi, simplement les conditions actuelles nous permettent de redonner au client un peu de pouvoir d'achat en baissant le prix."
Malgré cela, Lidl ne souhaite pas communiquer sur le détail de ses coûts de production. Que l'enseigne fasse moins de marge sur ses baguettes grâce aux volumes produits et en compensant avec la marge faite sur d'autres produits de son assortiment est une possibilité, une pratique d'ailleurs courante sur les produits d'appel (comme par exemple le fameux carburant à prix coûtant). Est-ce pour autant une concurrence déloyale pour les boulangers qui, pour survivre, doivent pouvoir dégager un bénéfice qu'ils estiment à envion 6%?
Finalement, Dominique Anract et Thomas Braun s'accordent sur le fait que baguette de supermarché et baguette de boulanger sont deux produits bien différents. Chacun a son public. "Des gens ont besoin de pouvoir acheter du pain à ce prix, je peux le comprendre," concède Dominique Anract. En rappelant que "la grande distribution, ce n'est que 9% du marché de la baguette".