Y a-t-il vraiment une pénurie de sardines en France?

Boîtes de sardines (illustration) - Photo par MAGALI COHEN / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP
"Rupture sardines" annonce sur une affichette un magasin Auchan auquel a rendu visite Olivier Dauvers, expert de la consommation, le 7 septembre dernier. Ce dernier a ensuite relayé l'information sur son compte X, en expliquant que "les sardines sont de plus en plus rares".
Les Français sont pourtant de gros mangeurs de sardines: 16.000 tonnes sont consommées chaque année. C'est même le 4e poisson qu'on mange le plus, derrière le thon, le saumon et le cabillaud. Alors, faut-il vraiment craindre une pénurie de sardines en France? RMC Conso a enquêté.
La sardine est essentiellement consommée en conserve, et celle-ci a une longue histoire, en France. Mais de nos jours, les rayons de nos supermarchés n'ont plus grand chose à voir avec les boîtes de conserves artisanales de sardines bretonnes, dont la première remonte aux années 1800. Aujourd'hui, deux conserves de sardines sur trois sont importées du Maroc.
Pénurie au Maroc
Or les ruptures de stock auxquelles on assiste actuellement sont en fait liées à une pénurie au Maroc, et non en France. C'est en tout cas ce qu'affirme le journal Le Télégramme, qui parle d'une "fausse pénurie", ce que confirme un pêcheur breton interrogé par nos confrères de France 3.
Contactés par RMC Conso, les conservateurs de sardines, rassemblés au sein de la Fédération française des Industries d'Aliments Conservés (FIAC), expliquent qu'ils "font actuellement face à des difficultés d’approvisionnements, qui peuvent, dans certains cas, déboucher sur des ruptures temporaires en rayon."
"Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette situation dans les principales zones de pêche: des volumes pêchés en réduction dans certaines zones (notamment au large Maroc) ou des tailles de poissons petites pour la filière conserve malgré des volumes présents (dans le Golfe de Gascogne)."
Le pays d'Afrique du Nord approvisionne effectivement de nombreuses marques, certaines ayant même leur propre usine sur place. C'est le premier producteur mondial de sardines. Elles représentent 11% des exportations agroalimentaires du pays, selon le journal économique marocain Médias24.
Surpêche
Or, au cours des dix dernières années, le Maroc a fortement investi pour développer la capacité industrielle de la filière. Peut-être même un peu trop: "La flotte de pêche côtière, en particulier celle spécialisée dans la pêche des sardines, a connu une augmentation considérable. [...] Cette abondance permettait de pêcher ce poisson tout au long de l’année, sans interruption," indique le quotidien marocain Al Akhbar.
Résultat, la sardine est aujourd'hui victime de surexploitation. Pêchée toute l'année, elle n'a pas le temps de se reproduire et les stocks ne peuvent pas se renouveler correctement. Les chiffres sont particulièrement flagrants lorsqu'on compare les années 2022 et 2024: selon l’Office National des Pêches marocain, les débarquements de sardines ont chuté de 965.000 tonnes en 2022 à 525.000 tonnes en 2024, soit une baisse de près de 46% en seulement deux ans.
Mais le problème ne concerne pas que le large du Maroc: la sardine fait partie des dix espèces de poisson les plus pêchées au monde. Elle est aussi victime de surpêche dans le Golfe de Gascogne, et a été classée dans la catégorie des espèces "dégradées" par l’Ifremer (l'institut français de recherche sur l’océan). Elle se rapproche du seuil limite de la catégorie "effondrée": sa population a été divisée par trois en l’espace de 20 ans dans cette zone.
Dérèglement climatique
Sa capacité à se reproduire rapidement lui permet quand même d'entrer de temps à autre dans la catégorie "reconstitutable", mais les stocks sont fragiles. D'autant que la sardine est aussi fortement impactée par le dérèglement climatique.
En effet, les sardines vivent de moins en moins longtemps: autour de douze mois seulement, alors qu'elles pouvaient vivre jusqu'à 10 ans il y a encore quelques années. Elles sont aussi de plus en plus petites. Elles sont passées, depuis dix ans, de 17 à 14 cm sur les côtes atlantiques, et de 15 à 11 cm en Méditerranée.
Leur poids moyen a diminué de moitié. Pourquoi? Tout simplement parce que leur principale source d'énergie est devenue moins nourrissante. Les sardines mangent des planctons, qui sont moins nombreux et plus petits à cause du réchauffement de l'eau. Par ailleurs, il y a aussi moins de sardines dans l'Atlantique parce qu'elles migrent vers des eaux moins chaudes.
On pêche donc des sardines de plus en plus jeunes et de plus en plus faibles, ce qui n'aide pas non plus au renouvellement de l'espèce... Un cercle vicieux.
Pénurie durable?
Les conservateurs de sardines nous assurent que "la situation devrait progressivement revenir à la normale". Mais dans la mesure où le dérèglement climatique s'accélère et où le Maroc parle d'une crise structurelle qui dure depuis plus de trois ans, il y a de quoi craindre des problèmes d'approvisionnement durables.
D'autant que pour enrayer l'érosion, le Maroc met en place des mesures pour mieux maîtriser la pêche de sardines, par exemple des périodes de repos biologique durant lesquelles la pêche est interdite. Ce qui entraîne également une baisse de la production même si, à long terme, la démarche est bien sûr vertueuse et a pour but de reconstituer les stocks.
Faut-il pour autant arrêter de manger des sardines? Elles restent un poisson excellent pour la santé, riche en oméga-3. C'est par ailleurs un allié du pouvoir d'achat: une boîte coûte en moyenne deux euros, alors que le thon en conserve est plutôt autour de trois euros. Qui dit rareté dit forcément augmentation des prix, mais la sardine devrait rester l'un des poissons les moins chers du marché.
Bien choisir
Par ailleurs, ses capacités de reproduction en font tout de même une espèce plus durable que le thon ou le saumon. Les petits poissons sont aussi moins pollués que les gros. Il y a donc plein de bonnes raisons de manger des sardines.
Il est toutefois important de faire attention au choix en rayons: se tourner vers des sardines pêchées au large des côtes bretonnes plutôt qu'à l'étranger. Malheureusement, la réglementation n'impose d'afficher que la zone de pêche, qui est très large (par exemple: Atlantique nord). Quant aux mentions "préparé à...", elles peuvent être trompeuses: le poisson peut très bien avoir été mis en boîte en France mais pêché loin de nos côtes.
Toutefois, lorsque le poisson a été pêché près des côtes françaises, l'information est généralement indiquée, parce qu'il s'agit un argument marketing puissant. Observez donc bien les étiquettes.