RMC Conso
Arnaques

Journée mondiale de l'audition: l'arnaque aux appareils auditifs peut vous coûter très cher

placeholder video
Les fraudes aux appareils auditifs sont de plus en plus fréquentes et nombreuses. Le préjudice, pour les victimes, est à la fois financier et d'ordre médical. RMC Conso vous explique comment ne pas tomber dans le piège.

Lundi 3 mars, c'est la journée mondiale de l'audition. La déficience auditive touche un adulte sur quatre, selon une étude menée par une équipe de recherche de l’Inserm et d’Université Paris Cité en 2022. Le chiffre monte à 65% pour les 65 ans et plus.

Une grande partie de la population aura donc besoin, un jour, de porter des prothèses auditives, un appareil néanmoins extrêmement coûteux. C'est la raison pour laquelle, depuis 2021 et la réforme du 100% santé, il est possible de bénéficier d'une prise en charge complète, dans la limite de 1.900 euros.

Le problème est que cela a constitué une aubaine pour des escrocs, qui parviennent à détourner cet argent public. Si l'Assurance maladie est la première victime, le préjudice pour les patients est également très important. RMC Conso a enquêté sur cette arnaque de plus en plus fréquente et vous explique son fonctionnement.

35 millions d'euros de fraude en 2024

En 2024, le montant des tentatives de fraudes aux prothèses auditives interceptées par l'Assurance maladie a atteint 35 millions d'euros. C'est presque 70% de plus qu'en 2023, où 21 millions d'euros avaient été captés.

Le stratagème, pour obtenir de la Sécurité sociale et des mutuelles un virement indu? "Les escrocs utilisent plusieurs techniques," explique à RMC Conso Brice Jantzem, président du Syndicat des audioprothésistes.

"La première est une pure fraude financière, elle consiste à faire de fausses factures d'appareils auditifs et de fausses feuilles de soin, à l'aide de numéros de Sécurité sociale volés, achetés sur le dark web."

L'argent va alors à des sociétés créées frauduleusement, dans le simple but de réceptionner les fonds. Même chose pour la deuxième technique, si ce n'est que les numéros de Sécurité sociale ne sont pas volés mais obtenus de la part de complices, recrutés sur les réseaux sociaux, et à qui l'on promet, en échange, le partage des gains ou un cadeau.

Dans ce type de cas, le préjudice est limité pour le complice, souvent jeune et qui n'a pas encore besoin d'aide auditive. Les conséquences de la troisième technique utilisée par les malfaiteurs sont en revanche beaucoup plus graves. Cette fois, la cible est souvent une personne âgée, préalablement démarchée par téléphone.

Installation à domicile, sans consultation médicale

RMC Conso s'est procuré l'extrait d'une conversation téléphonique:

"Je suis Sophie du programme 'Audition pour tous', affirme une voix de jeune femme. Je vous appelle concernant votre situation auditive, parce qu’actuellement avec la nouvelle réforme 100% santé de la Sécurité sociale, vous pouvez bénéficier d’un test auditif gratuit et même de prothèses gratuites."

Impossible de savoir qui se cache réellement derrière: la standardiste entretient un flou. Certains prétendent même qu'ils sont mandatés par l'État, ou l'Assurance maladie. Dans la suite de la conversation, la personne démarchée est incitée à prendre rendez-vous pour un test auditif dans un centre imposé, sans visite médicale préalable chez un médecin ORL.

"Il ne faut jamais accepter ces rendez-vous, le démarchage téléphonique dans notre secteur est interdit. La marche à suivre, si vous ressentez une perte auditive, c'est d'abord un rendez-vous chez votre généraliste, puis chez un ORL, et après seulement chez un audioprothésiste," commente le président du Syndicat des audioprothésistes.

Le démarchage à domicile et les tests réalisés en dehors de la cabine insonorisée d'un véritable centre auditif sont tout aussi prohibés. Pourtant, il existe de nombreux témoignages de patients qui racontent s'être fait installer des appareils auditifs chez eux.

Si les prothèses sont dans ces cas-là réellement fournies, elles sont souvent bas de gamme, mal réglées voire inadaptées, et ne font l'objet ensuite d'aucun suivi, alors que des contrôles réguliers sont indispensables.

Des techniciens sans diplôme

"Ce sont souvent des gens sans matériel et sans diplôme, qui exercent illégalement, couverts par un audioprothésiste qui fait travailler sous son nom plusieurs personnes. Ils vont acheter les appareils les moins chers possible, sont injoignables ensuite alors qu'ils sont censés assurer un suivi pendant les quatre ans de garantie. Des prothèses auditives mal réglées ne servent strictement à rien," explique Brice Jantzem.

Autre risque, celui de passer à côté d'une pathologie plus grave, les patients n'étant même pas auscultés. Les ordonnances, obligatoires pour bénéficier du 100% santé, sont trafiquées, obtenues frauduleusement, ou via des médecins complaisants, parfois sur simple téléconsultation, parfois sans consultation du tout. Or la prise en charge de prothèses dans le cadre du 100% santé n'est possible qu'une fois tous les quatre ans.

Sur Facebook, le centre auditif AudiSoin, à Massy, dans l'Essonne, fait l'objet de nombreux commentaires mécontents. Appareils défectueux, entreprise injoignable, suivi inexistant... Les critiques sont diverses. En décembre 2023, le centre a été épinglé par l'émission Envoyé spécial, qui l'accuse d'avoir vendu des prothèses à domicile, par des techniciens sans diplôme, et parfois à des personnes qui n'en avaient même pas besoin.

Une des victimes, Nathalie, nous explique que les appareils installés étaient "des amplificateurs et non des prothèses", et la société "recommandée par des amis qui ont eu un parrainage. Depuis plus d'un an, aucune nouvelle, elle ne répond pas et les appareils ne vont plus".

L'entreprise est effectivement désormais fermée, et visée, selon un article du magazine Challenges, par une enquête préliminaire de la Junalco, la division du parquet de Paris chargée de la criminalité organisée. Le préjudice est estimé à plus de 11 millions d'euros.

Début février, un autre réseau a été démantelé en Seine-Saint-Denis. Il avait réussi à détourner 7 millions d'euros.

Vérifier le badge du professionnel, fuir les remises

Face à la hausse des fraudes, l'Assurance maladie renforce ses services d'enquête. "Désormais, elle vérifie l'existence réelle des centres, l'authenticité des prescriptions. Depuis le 1er janvier, il est par ailleurs obligatoire d'utiliser la carte Vitale, et plus une simple feuille de soin, pour obtenir la prise en charge," détaille Brice Jantzem.

Malgré tout, il faut rester vigilant. De faux professionnels peu scrupuleux continuent de démarcher les patients par téléphone. RMC Conso vous rappelle que le démarchage téléphonique et à domicile est strictement interdit dans le domaine de l'aide auditive.

Brice Jantzem recommande par ailleurs de vérifier que le diplôme de l'audioprothésiste est bien affiché lorsqu'on se rend dans un centre, et que le nom, sur le badge du professionnel, correspond bien au nom sur le diplôme (toute personne vous faisant faire un test ou vous installant un appareil doit être un audioprothésiste diplômé).

Le président du Syndicat des audioprothésistes souligne également que, si la publicité dans son secteur est autorisée, mieux vaut se méfier des professionnels qui en abusent: c'est peut-être la preuve d'une vision un peu trop commerciale du métier.

"Ceux qui font des remises, par exemple, c'est un petit peu louche. On parle de matériel médical, pas de n'importe quel produit de consommation."

La signature d'un devis est obligatoire, et vous avez 30 jours pour essayer les prothèses et les retourner si elles ne vous conviennent pas. Sachez enfin que vous pouvez vérifier vos relevés de remboursement sur le site de l'Assurance maladie, et signaler tout remboursement qui vous paraît suspect.

Charlotte Méritan