01 62... 04 24... 02 70... D'où viennent vraiment ces numéros de téléphone qui vous harcèlent?

Trois appels en absence, un 01 62... 04 24... 02 70... Ou encore 03 77... Ces numéros vous disent quelque chose? C'est normal, ils font partie des numéros utilisés pour vous démarcher au téléphone.
Une loi examinée ce lundi à l'Assemblée nationale pourrait d'ailleurs y mettre un terme. Mais en attendant son adoption, vous risquez de les voir encore apparaître sur votre écran pendant quelque temps.
Vous n'en pouvez plus de ces appels intempestifs et vous demandez d'où ils proviennent vraiment? RMC Conso a enquêté et vous révèle qui se cache derrière ces numéros.
Interdit en matière de rénovation énergétique
Un appel entrant... 01 62... Au bout du fil, une voix lointaine, brouillée: "On est le bureau d’études ITE, l’institut de la transition énergétique, relié à la Fédération française du bâtiment."
Suit un laïus probablement répété à longueur de journée: "Savez-vous que vous pouvez toucher des aides si vous investissez dans une pompe à chaleur?"
Si vous avez la patience de ne pas raccrocher systématiquement à chaque appel d'un démarcheur, vous avez sans doute déjà entendu ce type de discours. Il est pourtant parfaitement illégal: premièrement, il n'existe aucun "Institut de la transition énergétique" relié à la Fédération française du bâtiment. Cette dernière l'a confirmé à RMC Conso en précisant que la Fédération ne pratique pas le démarchage téléphonique.
Deuxièmement, le démarchage téléphonique dans le domaine de la rénovation énergétique est interdit depuis 2020. C'est le cas aussi pour tout ce qui concerne la formation depuis 2023. Deux secteurs dans lesquels les arnaques, visant à détourner des fonds publics (MaPrimeRénov pour le premier, le CPF, compte personnel de formation, pour le second), sont nombreuses.
Numéros dédiés au démarchage
Malgré cela, les appels continuent. Une autre loi a pourtant bien également tenté d'encadrer la pratique. Depuis 2023, le démarchage ne peut avoir lieu qu'à certains horaires, entre 10h et 20h, en semaine uniquement, et via des numéros bien spécifiques, définis par l'Arcep, l'autorité de régulation des communications électroniques. Les fameux 01 62... 04 24... 03 77... Aussi appelés NPV, Numéros Polyvalents Vérifiés. Nous avions répertorié la liste exhaustive dans cet article.
Ainsi, vous ne le saviez peut-être pas, mais depuis le 1er janvier 2023, les numéros de téléphone fixes commençant par les indicatifs 01 à 05 ne sont plus géographiquement assignés. L'objectif était de permettre aux consommateurs d'identifier les appels de démarcheurs, afin de pouvoir choisir de répondre ou non.
Les NPV sont attribués par l'Arcep aux opérateurs de téléphonie, qui les "louent" à leurs clients. Les opérateurs ont la responsabilité de s'assurer que leurs clients qui pratiquent le démarchage téléphonique le font bien via ces NPV.
Dans le cas contraire, ils doivent couper l'appel, "sous peine d’être sanctionné par l’autorité réglementaire (amende pouvant peser jusqu’à 3 % de son chiffre d’affaires)", précise Bouygues Telecom Entreprises.
Néanmoins, la responsabilité de l'opérateur téléphonique s'arrête là: il n'est pas responsable de la conversation entre le démarcheur et le démarché, et donc d'une éventuelle tentative d'arnaque.
Nouveaux acteurs de la téléphonie
Résultat, des entreprises peu scrupuleuses parviennent à mettre en place des centres d'appel et à obtenir des numéros parfaitement légaux pour démarcher, même si l'objet de l'appel est, lui, frauduleux. Elles passent par de petits opérateurs privés, qui se multiplient avec le développement de la téléphonie par internet, via la technique "VoIP".
Leur siège social se trouve parfois à l'étranger et leur fonds de commerce repose, en partie, sur ces centres d'appel.
Par exemple, Oxilog, dont le siège est en Tunisie, ou encore Kav El, dont le siège est en Israël. Ce dernier est cité à de nombreuses reprises, dans des forums mettant en lumière diverses arnaques téléphoniques: arnaque au CPF, arnaque aux travaux de rénovation, arnaque à la voyance...
Contactée par RMC Conso, l'entreprise nous explique, par l'intermédiaire d'un porte-parole dénommé Jo (il n'a pas souhaité nous donner son nom de famille), "ne pas être responsable des pratiques frauduleuses pratiquées par ses clients."
"Nous effectuons de nombreux contrôles pour nous assurer que l'activité pratiquée par nos clients qui font du démarchage téléphonique est légale. Nous vérifions leur identité, le kbis de leur entreprise."
"Certains passent entre les mailles du filet. Mais si nous détectons une activité frauduleuse, nous suspendons la ligne. Si un client veut installer un centre d'appel en utilisant nos services pour faire de la rénovation énergétique, nous déclinons," assure-t-il.
Fraudeurs difficiles à tracer
Il refuse néanmoins de dévoiler l'identité du démarcheur s'étant fait passer pour '"l'institut de la transition énergétique", dont le numéro provient bien de Kav El.
"Nous savons de qui il s'agit, mais n'avons pas le droit de vous donner le nom. Nous ne le faisons que sur réquisition policière."
Du côté de l'Arcep, on nous répond que:
"L'Arcep est chargé de contrôler les obligations des opérateurs ayant trait à l'organisation du démarchage commercial, et notamment la bonne application du plan de numérotation. Les usages frauduleux qui se font dans le respect du plan de numérotation sont eux étudiés par la DGCCRF."
La Direction générale de la concurrence, la consommation et la répression des fraudes effectue en effet des contrôles mais "fait état de difficultés à sanctionner les donneurs d’ordre établis à l’étranger", comme l'indique le rapport de la sénatrice Olivia Richard, à l'origine d'une proposition de loi votée par le Sénat en novembre et qui consacre déjà le principe de l'interdiction du démarchage téléphonique non consenti.
En 2023, sur les 5300 contrôles réalisés, 60% des entreprises n'étaient pas en conformité avec les règles.
La répression des fraudes indique également avoir des difficultés à retracer l’origine de l’appel lorsque le numéro utilisé a été usurpé: le "spoofing", une technique permettant d'afficher sur le téléphone de l'appelé un numéro différent de celui qui appelle réellement, souvent utilisé dans des cas de fraudes bancaires, sert aussi aux démarcheurs peu scrupuleux.
Fin des appels frauduleux?
Interdire définitivement le démarchage téléphonique commercial non consenti permettrait donc de mettre fin aux systèmes automatisés qui envoient des centaines d'appels par seconde.
La mesure serait toutefois inefficace contre le spoofing, mais d'autres technologies, comme le MAN, Mécanisme d'authentification des numéros, sont en cours de déploiement pour permettre aux opérateurs d'identifier et de couper ce type d'appels frauduleux.
En attendant l'adoption de la loi, vous pouvez toujours vous inscrire sur Bloctel, la liste mise en place en 2016 pour signifier son refus d'être démarché (mais qui est assez peu efficace), ou bien télécharger une application qui identifie les appels indésirables, comme Orange téléphone, considérée comme l'une des meilleures sur le marché.