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Agriculture: les tomates ont-elles vraiment perdu leur goût?

Des tomates issues de l'agriculture biologique vendues à Nantes en novembre 2017.

Des tomates issues de l'agriculture biologique vendues à Nantes en novembre 2017. - LOIC VENANCE / AFP

Une partie des consommateurs déplore la saveur des tomates, qu'ils jugent de moins en moins savoureuses. S'agit-il d'un vrai phénomène ou d'un avis subjectif? RMC Conso a interrogé Valentine Cottet, analyste sensorielle au Centre technique Interprofessionnel des fruits et légumes (CTIFL) et Yoni Cohen, fruitier et légumier auprès de professionnels de la gastronomie.

“Des tomates immangeables.” Cette déclaration tenue par Ségolène Royal, ancienne ministre de l'Environnement, à propos des tomates bio espagnoles, le 30 janvier dernier sur BFMTV, a créé la polémique. L’ex-candidate à la présidentielle de 2007 confirme l’impression de nombreux consommateurs qui se plaignent du goût de moins en moins prononcé de ce fruit, quelle que soit son origine.

En témoigne une étude menée en 2019 par l'Association nationale de défense des consommateurs et usagers (CLCV). Cette dernière montrait que seuls 25% des interrogés trouvaient que la tomate avait encore bon goût.

Cette impression est-elle justifiée? Ou s’agit-il principalement d’un problème lié à la variété que vous achetez? On fait le point avec Valentine Cottet, analyste sensorielle au Centre technique Interprofessionnel des fruits et légumes (CTIFL) et Yoni Cohen, fruitier et légumier fondateur de Maison Emali.

Des avis "très subjectifs"

Les Français sont de grands consommateurs de tomates et en mangent environ 14 kilos par an et par personne. Le marché français est inondé d’importations marocaines et espagnoles. En effet, près de 36% des tomates consommées dans l’Hexagone sont importées, selon l’Association d'organisation de producteurs de tomates et concombres de France (AOPn).

Globalement, ces dernières sont pensées pour survivre à un certain acheminement. Elles sont donc généralement cueillies sans être arrivées à maturation et perdent par conséquent en arôme. Mais en ce qui concerne la production française, le constat n’est pas tout à fait le même, selon Valentine Cottet.

“Sur quoi s'appuient les consommateurs pour dire que les fruits d’aujourd’hui ont moins de goût? Sur les tomates de leur enfance? De leur jardin? Les avis des consommateurs sont très subjectifs”, pose-t-elle.

Selon l’analyste sensorielle, de nombreux efforts ont été faits pour assurer une diversification de l’offre tout en assurant une résistance aux maladies. “On a une multitude de variétés et de typologies, le consommateur doit simplement trouver celle qui lui correspond le plus”, affirme la spécialiste. “Il y a une connaissance du produit à travailler et à valoriser du côté du consommateur”, ajoute-t-elle.

De son côté, le fruitier et légumier Yoni Cohen pointe un manque de goût principalement présent chez les tomates de supermarchés, majoritairement cultivées hors-sol.

"Les tomates de supermarchés sont résistantes et prévues pour être conservées par les consommateurs. Ces dernières ont par conséquent moins de goût. Il faut garder en tête que plus un fruit est ferme, moins il a de goût", explique-t-il.

Certains facteurs influencent la qualité

Si, selon Valentine Cottet, les variétés de tomates françaises “sont tout à fait adaptées au circuit entre la production et la commercialisation tel qu’il est proposé aujourd'hui”, leur qualité n’en demeure pas moins soumise à certains facteurs.

“La qualité du produit fini peut dépendre du matériel végétal utilisé, de la génétique, du savoir-faire du producteur et du stade de maturité à la récolte”, explique Valentine Cottet.

Par ailleurs, les conditions dans lesquelles les fruits sont stockés lors de l’acheminement vers le distributeur peuvent également avoir un impact sur le maintien de l’arôme. “Elles sont généralement optimisées et les températures ne sont pas trop froides”, précise l’analyste sensorielle.

D'après Yoni Cohen, les tomates cultivées en pleine terre "tirent leurs qualités nutritives et gustatives du sol, mais aussi du soleil". Ces dernières auraient par conséquent "un goût qu'on ne retrouve nul par ailleurs", selon l'expert des fruits et légumes.

Les fruits hors-sol "ni très mauvais, ni très bons"

Si certains consommateurs ne jurent que par les tomates cultivées en pleine terre, qui seraient systématiquement meilleures, la réalité serait plus nuancée, selon Valentine Cottet.

En effet, cette dernière a mené une étude sur l’impact du mode de culture en pleine terre et hors-sol sur le goût de plusieurs variétés de tomates en suivant un protocole représentatif.

“En moyenne, nous n’avons pas mis en évidence des différences significatives sur les principaux critères d’appréciation, ni sur les critères de description comme l’intensité de l’arôme, l’acidité et la fermeté", explique-t-elle.

En revanche, l'étude a constaté une très grande variabilité de résultats sur les tomates issues du sol. En effet, ces dernières sont soumises aux aléas climatiques. "La moins bonne tomate et la meilleure tomate proviennent du sol. Les fruits hors-sol sont quant à eux assez intermédiaires, car leur production est contrôlée. Ils ne sont ni très mauvais, ni très bons”, détaille-t-elle.

Mais Yoni Cohen n'est pas tout fait de cet avis puisqu'il est convaincu que les tomates cultivées en pleine terre jouissent de qualité gustative supérieure. "Elles ont un goût qu'on ne retrouvera jamais dans celles qui sont cultivées hors-sol", promet-il.

Des habitudes de consommation à adapter

Une partie des consommateurs achètent des tomates à longueur d’année. Pourtant, prendre en compte la saisonnalité de ce fruit est impératif pour prétendre à un produit de qualité. “Il faut aussi renvoyer les consommateurs à leur responsabilité”, avance l’analyste. “Oui, il y a des tomates en hiver, mais ce n’est pas la même qualité qu’en saison”, ajoute-t-elle.

"On peut réellement profiter du goût de la tomate entre mai et septembre. En consommant de saison, on jouit non seulement de réelles qualités gustatives, mais on respecte aussi une culture raisonnée et respectueuse de l'environnement", insiste à son tour Yoni Cohen.

L'expert en fruits et légumes conseille également aux consommateurs d'adapter leur méthode de conservation. "La tomate ne se garde pas au réfrigérateur, mais à température ambiante. Pour cause, si le frigo ralentit son mûrissement, il anesthésie aussi ses arômes." Yoni Cohen et Valentine Cottet recommandent de la conserver au sec et à température ambiante.

Par ailleurs, certaines variétés de tomates anciennes françaises sont particulièrement conseillées pour assurer un maximum d'arômes aux consommateurs.

"Je recommande particulièrement la cœur de bœuf cultivée dans les Bouches-du-Rhône qu'on peut aussi bien manger crue en salade, qu'en gaspacho ou en sauce", assure le fruitier.

Le spécialiste invite les consommateurs à privilégier les tomates du sud de la France. "95% d'entre elles sont cultivées en pleine terre, contrairement à celles qui proviennent de Bretagne", préconise-t-il.

Sabrine Mimouni