Shein ou Zara: à quel point l'ultra-fast fashion est-elle pire que la fast fashion?

Le logo de la plateforme de fast fashion Shein affiché sur un smartphone, avec la page du site Web de l'entreprise en arrière-plan, le 6 décembre 2024 à Bangkok, en Thaïlande (photo d'illustration). - MANAN VATSYAYANA / AFP
La nouvelle a fait l'effet d'une bombe dans le secteur de la mode et au-delà. Ce mercredi 1er octobre le président du groupe SGM (Société des grands magasins) Frédéric Merlin a annoncé un partenariat avec Shein. La marque d'ultra-fast fashion, qui n'était jusque-là que trouvable en ligne, va se doter de boutiques physiques.
Dès novembre des corners ouvriront au sein de plusieurs magasins du groupe SGM: au BHV (Bazar de l'Hôtel de Ville), emblématique grand magasin du centre-ville de Paris. Ainsi que dans cinq Galeries Lafayette, ceux de Dijon, Grenoble, Reims, Limoges et Angers.
Ces derniers ont la particularité d'être gérés en franchise: la maison-mère n'a pas la main dessus, et elle a d'ailleurs dénoncé l'arrivée de la marque chinoise au sein de magasins qui portent son nom. Dans un communiqué le Groupe Galeries Lafayette a exprimé son "profond désaccord" avec cette décision, au prétexte du "positionnement et des pratiques de cette marque d'ultra-fast fashion".
Le fait que Shein, qui par son dumping et son plagiat a fait tant de mal aux autres marques de mode, pénètre dans une institution comme le BHV suscite la même indignation chez Yann Rivoallan, président de la Fédération du prêt-à-porter féminin. Mais il ne se dit pas tellement surpris.
"Il n'y a rien d'étonnant dans cette annonce: nous sommes en plein dans la stratégie de 'premiumisation' de Shein. Après avoir fait le pire, ils veulent monter en gamme. Ou du moins en donner l'impression", affirme-t-il à RMC Conso.
Shein a exacerbé les mauvaises pratiques de la fast fashion
Dans l'esprit d'un consommateur, le fait de voir un corner Shein pourrait donner l'illusion que cette marque est à mettre sur un pied d'égalité avec les autres qui cohabiteront dans le même magasin. Et pourtant, nous en sommes bien loin. Copie et reproduction de modèles d'autres marques; conditions de travail déplorables dans ses usines; désastre environnemental causé par le nombre faramineux de vêtements produits, et par la qualité médiocre de ces derniers... La liste des griefs à l'égard de la marque chinoise est particulièrement longue.
On pourrait objecter que de telles pratiques, beaucoup d'autres marques s'en sont rendues coupables. C'est d'ailleurs un des arguments utilisés par Shein pour se défendre. "Les consommateurs nous assimilent aux acteurs traditionnels de la mode, alors que nous polluons beaucoup moins qu’eux", prétendait en 2023 Peter Pernot-Day, responsable stratégie Europe et États-Unis de la marque, dans une interview au Parisien.
Quel crédit accorder à une telle affirmation? La distinction que l'on a l'habitude de faire entre "fast fashion" et "ultra-fast fashion" n'aurait pas lieu d'être? Un H&M ou un Zara ne serait au fond pas mieux qu'un Shein ou un Temu?
Pour Pauline Debrabandere, responsable plaidoyer et campagnes pour l'association Zero Waste France, il n'y pas de doute sur le fait que les pratiques des uns comme des autres sont nocives. Mais celles du Chinois sont nettement pires.
"Shein n'a fait que reprendre les usages qui se faisaient déjà dans l'industrie et les a exacerbés le plus possible", déclare-t-elle à RMC Conso.
7.000 nouvelles références par jour
Le meilleur exemple pour l'illustrer est le chiffre du renouvellement du catalogue. Aujourd'hui des marques comme Zara ou H&M présentent un peu moins d'une centaine de nouvelles références par jour. Là où une enseigne de prêt-à-porter moyenne gamme comme Pimkie en propose environ 1.500 sur toute une année.
Avec Shein, ce chiffre devient irrationnel: la plateforme chinoise propose plus de 7.000 nouvelles références chaque jour. De nombreuses associations environnementales dénoncent ce catalogue aussi pléthorique au motif qu'il inciterait à la surconsommation.
Inciter à la surconsommation est effectivement une chose regrettable. Mais là, qui plus est, c'est une surconsommation de produits d'aussi mauvaise qualité qu'ils sont nocifs pour les droits humains et l'environnement.
Commençons par l'aspect social. Les rapports d'ONG et les enquêtes journalistiques au sein des usines de Shein se sont multipliés ces dernières années. Et ont tous décrit des conditions de travail déplorables au sein d’ateliers sous-traitants de la marque en Chine. Un des derniers a été celui de l'association ActionAid France avec l'ONG China Labor Watch. Et qui décrivait des employés rémunérés à la pièce pour une misère (à hauteur de 6 à 27 centimes). Contraints d'accumuler parfois plus de 70 heures de travail par semaine pour s'assurer un salaire décent.
Les marques de fast fashion se sont améliorées
Encore plus récemment ce n'est même plus une ONG mais directement l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) qui a épinglé Shein. Dans un rapport publié ce lundi 29 septembre, cette institution dénonce les conditions de travail indignes.
Le dumping social à outrance n'est pourtant pas une nouveauté dans l'industrie de la mode. De nombreuses marques plus "traditionnelles" sont régulièrement pointées du doigt pour de mauvaises pratiques. Decathlon a par exemple été épinglé en février par une enquête l'accusant de s'approvisionner en textiles auprès d'un sous-traitant chinois lié au travail des Ouïghours.
Impossible de ne pas évoquer non plus l'effondrement du Rana Plaza en 2013, cet immeuble qui abritait plusieurs ateliers de confection au Bangladesh, travaillant pour de nombreuses marques de fast fashion comme Mango ou Primark. Une catastrophe qui en plus d'avoir fait 1.135 morts a mis au grand jour les pratiques les plus contestables des multinationales.
Mais à en croire Victoire Satto, co-fondatrice du média dédié à la mode éthique The Good Goods, cette tragédie a conduit des marques à s'améliorer.
"Le Rana Plaza a généré une certaine mobilisation des marques. Zara par exemple s'est bougé pour s'améliorer et relocaliser en Europe une partie de sa production", reconnaît-elle.
Nous sommes encore loins de la perfection bien entendu. Mais d'après cette experte, des problèmes se constateraient sur des sites de production isolés, là où Shein "c'est vraiment toute la chaîne de valeur qui est discutable".
Des vêtements en plastique
Autre point sur lequel la fast fashion fait mieux que Shein (sans être parfaite toutefois, loin de là), c'est sur la composition des vêtements. Dans un article consacré à l'impact environnemental du géant chinois, le média en ligne Vert rapporte que ses habits sont à 90% composés de plastique. Du polyester principalement (à 75,7%), mais aussi du viscose (8%), de l'élasthanne (3,6%) et du polyamide (2,4%).
Toutes ces matières textiles sont synthétiques. Leur production est donc très polluante: il faut 1,5 kilo de pétrole pour faire 1 kilo de polyester. Mais l'existence même de ces vêtements l'est également. Ils relarguent (notamment lors de leur lavage) des microparticules de plastique dans l'environnement.
Victoire Satto relève que l'usage de ces matières synthétiques est une "tendance générale" dans l'industrie textile. En effet, les matières naturelles comme le coton ou la laine sont de plus en plus rares et donc plus chères en raison d'une demande qui augmente et une production stagnante.
On achète en moyenne 35 vêtements par an
En effet, lorsqu'on regarde la composition de certains vêtements comme les pulls de chez H&M ou Zara, le polyester est également présent en assez grande quantité. Mais il est souvent mélangé avec d'autres matières plus "nobles". Un article de fast fashion sera d'ailleurs toujours mieux noté que son équivalent d'ultra-fast fashion par le nouvel éco-score qui vient d'être instauré et que RMC Conso vous présentait récemment.
Enfin, les marques de fast fashion déclarent tout de même vouloir s'améliorer. À l'image de Zara qui promet de d'utiliser des matériaux plus durables et d'être neutre en émission carbone d'ici 2040. Véritable prise de conscience ou simple greenwashing? Pauline Debrabandere de Zero Waste salue tout de même cette initiative.
"Zara fait des efforts dans un sens et monte en gamme. Néanmoins, il n'y a aucune remise en question du modèle qui est de produire toujours plus pour vendre toujours plus", regrette-t-elle.
En résumé, un vêtement de fast fashion vaudra toujours mieux qu'un de chez Shein. Il ne faut pas se laisser avoir par le ravalement de façade que tente d'opérer le géant chinois. Mais alors que l'on achète en moyenne 35 nouveaux vêtements par an et que l'on n'en porte que 30%, le plus important reste de limiter sa consommation textile.