Train: pourquoi la carte Avantage de la SNCF n'offre pas les mêmes réductions partout en France?

Un train régional (TER) Zou! à Nice, le 14 février 2025. - ALEJANDRO MARTINEZ GONZALEZ / Hans Lucas via AFP
En vacances en Provence, vous avez peut-être déjà été amené à prendre un train régional (TER). Et eu le regret de constater que votre carte Avantage de la SNCF ne vous donnait aucune réduction. Ou alors en Grand-Est, remarqué qu'elle ne vous offrait que -25% alors que vous bénéficiez d'habitude de 30% garantis sur les TGV et Intercités.
Cela peut paraître illogique. Et dans tous les cas agaçant: lorsque l'on achète 49 euros une carte de réduction nationale pour le train, on s'attend à ce qu'elle soit valable partout et dans les mêmes conditions. Mais il y a une explication.
Pour comprendre il faut remonter à 2016. Cette année-là dans une logique de décentralisation, la "liberté tarifaire" en matière ferroviaire a été accordée aux nouvelles régions qui venaient d'être créées par la réforme territoriale de 2015. Celles-ci pouvaient désormais fixer comme elles le voulaient le prix des TER, sans avoir à appliquer le barème kilométrique national jusqu'alors en vigueur.
Un immense morcellement de l'offre
Cette mesure a beau avoir permis de globalement faire baisser les prix, elle a eu l'inconvénient de créer un immense morcellement de l'offre et de la tarification ferroviaire en région. Peut-être avez-vous ainsi remarqué qu'en PACA les TER s'appellent "Zou!", en Occitanie "liO" ou encore en Pays de la Loire "Aléop".
Des petits noms sympathiques, mais qui cachent d'importants bras de fer entre les régions et la SNCF. Et créent toujours plus d'incompréhension pour l'usager. En effet chaque région fixe ses propres prix, mais émet également ses propres cartes de réductions régionales. Et détermine le champ d'action des cartes nationales (Avantage Jeune, Adulte et Senior, ou Liberté).
Sur ce dernier point donc, on constate des choses relativement lunaires. Concrètement, chaque région accepte les cartes Avantage d'une manière différente lorsqu'on souhaite faire un trajet à l'intérieur de celle-ci.
Par exemple en Bretagne elle offre 30% que l'on ait la carte Adulte, Jeune ou Senior. En Nouvelle-Aquitaine seules les cartes Jeune et Senior offrent 30%. Celle Adulte ne donne aucune réduction. En Auvergne-Rhônes-Alpes, toutes offrent une réduction, mais qui sera de 25% pendant les périodes de forte affluence contre 50% lors des périodes creuses.

Tout cela est déjà bien complexe à résumer... Heureusement, la SNCF a mis à disposition de ses usagers une carte résumant tout cela pour chaque région, disponible ici.
Le TER est subventionné à 75%
Mais ce n'est pas tout. Car les régions ne se coordonnent pas entre elles, votre carte sera acceptée encore différemment si vous voyagez en TER d'une région vers une autre.
Par exemple, si vous avez la Carte Avantage Adulte et passez de la région Grand Est à la Bourgogne-Franche-Comté, vous bénéficierez d'une réduction allant de 25 à 50%. En revanche, si vous allez de cette même région Bourgogne jusqu'en Auvergne-Rhône-Alpes, vous n'aurez aucune réduction.
François Delétraz, président de la Fnaut (Fédération nationale des associations d'usagers des transports), relève que cela donne lieu à des inepties. Il prend l'exemple d'un voyageur qui devrait aller de Nancy à Châlon-sur-Saône.
"Ce même trajet peut être fait en TER, et depuis décembre 2024 en Intercités (une nouvelle ligne Nancy-Lyon venant d'être lancée). Dans le premier cas, il payera 53,80 euros, sans aucune réduction. Dans l'autre, moins de 30 euros", constate-t-il.
Pour ce spécialiste des transports, c'est d'autant plus étonnant que le financement des TER est essentiellement public. En effet sur le prix d'un billet, seuls 25% sont à la charge du client voyageur, comme il est indiqué sur le site de Groupe SNCF. Les 75% restants sont à la charge de la Région. À noter que pour un trajet en TGV en revanche, 100% du prix du billet est à la charge du client: il n'y a pas de subvention.
Les voyageurs locaux privilégiés
Comment expliquer alors un prix parfois si élevé du TER alors qu'il est censé être subventionné? François Delétraz explique que les régions, grâce à leur liberté tarifaire, peuvent répartir le poids de la subvention entre les usagers. Et souvent en font bénéficier les jeunes et/ou les voyageurs réguliers.
Par exemple en Occitanie, le train coûte très peu cher pour ces deux types de voyageurs. Ils sont même gratuits pour ceux qui cumulent les deux: cette région a mis en place un système "+ = 0" qui rend le TER gratuit à partir du onzième trajet dans le mois pour les moins de 27 ans. C'est aussi cette région qui met souvent en place des trajets à 1 euro pour les jeunes. Là, le voyageur ne paye effectivement qu'une infime part du prix du billet.
En revanche dans cette même région, un voyageur de passage qui n'aurait pas la carte de réduction locale (liO) mais serait un usager très régulier du TER dans sa propre région, risque de payer tout de même le prix fort. 30 euros pour un TER Toulouse-Narbonne, alors que le même trajet en TGV peut lui revenir à 20 euros avec sa carte Avantage... Pour le président de la Fnaut, tout cela est très politique.
"Le problème est que les présidents de régions ont une vue électoraliste. Chacun veut faire plaisir à ses administrés en leur offrant le train moins cher, pour être réélu. Le problème est qu'il y a des gens d'autres régions, ou d'autres pays, qui prennent aussi le train sur leur territoire. Eux, on leur fait payer des prix phénoménaux, souvent plus chers que les TGV", regrette cet expert passionné du ferroviaire.
Des batailles d'égo
Est-ce que les choses pourraient évoluer? Ne pourrait-il pas y avoir par exemple une carte de réduction spécialisée TER, mais qui serait valable dans toutes les régions? Ce qui éviterait d'avoir à en acheter une "Breizhgo" (Bretagne), une "Nomad" (Normandie), une "Rémi" (Centre-Val de Loire) et ainsi de suite...
Compliqué, selon François Delétraz: "Chaque région est convaincue que ce qu'elle fait est le mieux, et il y a parfois des batailles d'égo entre elles. Ou alors avec la SNCF", déclare-t-il. On l'a vu en 2023 lorsque le gouvernement avait voulu mettre en place un "Passe rail", inspiré du forfait à 49 euros en Allemagne permettant de prendre n'importe quel train local.
Cette idée avait été poussée par le ministre des Transports de l'époque Clément Beaune. Mais s'était heurtée à l'opposition de régions, et avait été enterrée.
La Fnaut continue malgré tout d'interpeller le gouvernement sur ce problème des cartes de réductions. L'actuel ministre des Transports Philippe Tabarot aurait reconnu que quelque chose n'allait pas avec ce système. Mais on n'en est pas encore à ce que les régions s'assoient ensemble autour d'une table, et tentent de trouver une solution...