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Séisme en Turquie: pourquoi Erdogan est fortement critiqué à quelques mois de la présidentielle

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Neuf jours après le tremblement de terre en Turquie, le président Recep Tayyip Erdogan est très critiqué pour sa gestion de la catastrophe et pourrait le payer lors de l'élection présidentielle, en mai prochain.

Il y a 20 ans, Recep Tayyip Erdogan était arrivé au pouvoir en Turquie en battant son prédécesseur, Abdullah Gül, accusé d’avoir mal géré le grand tremblement de terre de 1999. Vingt ans après, il fait face aujourd’hui aux mêmes critiques. La population se sent abandonnée, des villageois racontent n’avoir vu aucun secours arriver pendant près de 48 heures. Des centaines de milliers de personnes sont restées dans le froid sans aide, sans abri, sans nourriture.

Il est aussi reproché au pouvoir de venir en aide en priorité aux communes gérées par l’AKP, le parti du président, alors que d’autres régions jugées rebelles seraient plus abandonnées. Une vidéo a notamment provoqué une immense colère en Turquie. Elle date de 2019, mais elle est ressortie ces derniers jours: on y voit le président se vanter d’avoir favorisé des programmes immobiliers en laissant les constructeurs ne pas respecter les normes antisismiques pour aller plus vite. L’effet est terrible parce qu’il se trouve que certains des immeubles dont il parle se sont effectivement effondrés.

"La mafia du bâtiment"

C’est ce qui explique les soupçons de corruption contre le pouvoir, accusé d’avoir souvent laissé les promoteurs immobiliers construire sans respecter les règles d’urbanisme en échange de pots de vin. Plusieurs promoteurs ont déjà été arrêtés au moment où ils tentaient de fuir le pays, notamment le constructeur d’une résidence de luxe toute neuve qui s’est effondrée à Antalya. On a compté au moins mille morts. Des mandats d'arrêts ont été lancés contre 114 entrepreneurs. La colère est grande contre ce que l’on appelle en Turquie "la mafia du bâtiment", mais aussi contre les politiques qui ont laissé faire et en premier lieu contre le président.

Recep Tayyip Erdogan tente de faire taire ces critiques, avec autoritarisme, comme il le fait depuis 20 ans. Twitter a d’abord été fermé pour priver de parole tous ceux qui y expriment leur colère. L’opposition a dénoncé une censure d'autant plus insupportable que Twitter servait aussi à relayer les appels à l’aide. Finalement, le réseau a été rétabli au bout d’une journée. Mais certains des auteurs des messages critiques ont été arrêtés. Jeudi dernier, la police turque a arrêté au moins une douzaine de personnes en raison de leurs publications sur les réseaux sociaux. Avant le séisme, le régime d’Erdogan était déjà connu pour son autoritarisme. Le tremblement de terre n’a rien arrangé.

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Un front anti-Erdogan à la présidentielle

C’est dans ce contexte que doit se tenir l'élection présidentielle en mai prochain avec un front "tous contre Erdogan" qui se lance. Les six principaux partis d’opposition se sont unis contre lui, de la droite ultra nationaliste aux indépendantistes kurdes. Une alliance contre-nature motivée par la volonté de faire tomber l’indétrônable président. Avant le séisme, Erdogan semblait déjà en difficulté. Les électeurs lui reprochent la crise économique, l’inflation à 50%, le chômage, les déficits ainsi que la crise des réfugiés. Quatre millions de Syriens ont été accueillis en Turquie depuis le début de la guerre dans leur pays, il y a douze ans. Ils font maintenant l’objet d’un terrible rejet et ce devait être le principal débat de la campagne. Le pouvoir et l’opposition rivalisent de promesses et de propositions sur la façon de renvoyer les Syriens chez eux.

Mais le séisme change la donne: c’est maintenant sur la gestion de la crise qu’Erdogan sera jugé, et certainement pas favorablement. D’où la tentation, qu’on lui prête, de repousser les élections. En expliquant qu'il n’est pas possible d’organiser correctement les opérations de votes dans les régions sinistrées. Ce qui prolongerait encore un peu son long règne sur la Turquie.

Nicolas Poincaré avec MM