Menaces de diffusion prématurée du résultat du 6 mai

Le gouvernement français a refusé lundi de fermer tous les bureaux de vote à 20H00, comme le recommandait une autorité de contrôle en vue du second tour de l'élection présidentielle dans le but de limiter les risques de "fuites" des estimations. /Photo pr - -
par Thierry Lévêque
PARIS (Reuters) - Le gouvernement français a refusé lundi de fermer tous les bureaux de vote à 20H00, comme le recommandait une autorité de contrôle en vue du second tour de l'élection présidentielle dans le but de limiter les risques de "fuites" des estimations.
"Le ministère de l'Intérieur ne suit pas la recommandation", a déclaré un porte-parole. Il considère qu'on "ne change pas les règles du jeu entre les deux tours d'une élection présidentielle", a-t-il ajouté.
La Commission nationale de contrôle de la campagne électorale avait fait cette suggestion pour tirer les enseignements du premier tour, dimanche, où des estimations réalisées sur le fondement de premiers dépouillements, opérés à partir de 18H00 dans les bureaux fermant à cet horaire, ont été diffusés prématurément, notamment par des médias belges.
Malgré les poursuites pénales engagées par le parquet de Paris, ces derniers ont annoncé qu'ils persisteraient le 6 mai, laissant donc entendre qu'ils livreraient avant la fin du vote français le nom du nouveau président.
"Si nous sommes condamnés pour ne pas avoir respecté une loi étrangère, cela pose un certain nombre de questions. Nous nous sommes conformés à la loi belge, qui est notre référence", a dit un porte-parole de la télévision publique RTBF.
Le journal Le Soir a de son côté annoncé qu'il allait aussi persister et même procéder à des modifications techniques pour prévenir la saturation de son site internet, phénomène qui s'est produit dimanche dernier.
"Nous serons prêts techniquement dans une quinzaine de jours", a dit à Reuters Philippe Laloux, chargé de l'internet.
Selon un usage matérialisé avant chaque élection par un décret, les bureaux ferment à 20H00 dans les grandes villes et à 18H00 dans les zones rurales et les autres villes.
Pour rendre une harmonisation possible avant le second tour, Il aurait fallu un nouveau décret en conseil des ministres signé par le président de la République et contresigné par le Premier ministre, précise la Commission.
Nicolas Sarkozy, avant le premier tour, avait déclaré qu'il ne serait pas choqué par l'éventuelle divulgation prématurée de résultats, qui est selon lui de toute manière inéluctable.
POURSUITES PÉNALES
Des enquêtes pénales ont été ouvertes dimanche contre deux médias belges - non nommés mais probablement Le Soir et la RTBF - un média suisse (probablement la Tribune de Genève), un journaliste belge, un site internet "a priori néo-zélandais" ainsi que l'Agence France-Presse (AFP), qui ont publié des estimations avant l'heure légale.
Certains estiment que la loi obligeant à retenir les informations jusqu'à 20H00 est obsolète puisque l'accès aux résultats est possible sur internet ou sur Twitter, dès qu'une personne isolée les rend disponibles.
Les constitutionnalistes et certains dirigeants politiques ont cependant souligné qu'il existait un risque de fausser le scrutin. Si les projections sont connues avant la fin du vote, il n'est pas exclu qu'une partie de l'électorat se rende aux urnes pour contrecarrer cette perspective.
En cas de résultat serré, on ne peut exclure non plus qu'un candidat battu fasse aboutir un recours en annulation du scrutin devant le Conseil constitutionnel.
Moralement, les opposants à la divulgation prématurée se fondent sur la notion de "sincérité du scrutin", le droit pour chaque électeur de voter sans que sa décision soit influencée.
L'AFP a diffusé à ses clients médias plusieurs dépêches à partir de 18h48, avec cette mention : "la diffusion de ces informations auprès du grand public est de la seule responsabilité des clients". Ces derniers, qui disposaient de leur côté des mêmes informations, n'ont rien diffusé au public.
L'AFP affirme avoir mis à la disposition de ses clients des informations qu'elle avait en sa possession parce qu'elles avaient été divulguées par des médias étrangers.
Les médias poursuivis encourent jusqu'à 75.000 euros d'amende. Des auditions de police seront menées par la Brigade de répression de la délinquance à la personne (BRDP).
Avec Gérard Bon, Ben Deighton; à Bruxelles