La civilisation recule dans la classe politique

Le Parti Pris d'Hervé Gattegno, tous les matins à 8h20 sur RMC. - -
Le spectacle d'hier était lamentable. Les invectives font partie de la vie parlementaire mais, là, on a touché le fond. Les propos du député Serge Letchimy, qui a associé peu ou prou Claude Guéant avec le nazisme, sont débiles et abjects. Ce qui est également consternant, c'est que la phrase de Claude Guéant ait suscité une telle polémique. Et ce qui est désolant, c'est que ceux qui lui reprochent de vouloir mettre le sujet de l'islam et de l'intégration au cœur du débat de la campagne, eh bien ils ne parlent que de cela depuis trois jours - et ceux qui s'en défendent aussi ! Notre "civilisation", c'est celle de la liberté et de la raison. Les élus de la nation devraient protéger la première et garder la seconde.
Mais sur le fond, vous en pensez quoi, vous, de cette phrase de Claude Guéant ? Est-ce qu'il a eu raison de dire que "toutes les civilisations ne se valent pas" ?
Je ne sais pas s'il a eu raison et je reconnais à ceux qui pensent qu'il a tort le droit de le dire. Mais c'est un débat qui est plus passionné que passionnant. Ce qui est insupportable, c'est qu'une phrase qui n'est pas en soi un appel à la haine ni à la violence puisse susciter un pareil déluge d'indignation. Pourquoi un ministre n'aurait-il pas le droit de dire qu'il préfère sa civilisation à celle d'autres peuples, d'autres mondes, où les libertés sont bafouées et où, par exemple, les femmes sont opprimées ? On peut ne pas être d'accord, discuter le choix du mot "civilisation" ; mais est-ce qu'une affirmation aussi générale justifie qu'on présente Claude Guéant comme un penseur fasciste ou un fourrier du lepénisme ? Bien sûr que non. Dans cette affaire, la querelle sémantique sert de paravent à un procès idéologique qui n'a pas lieu d'être.
Est-ce qu'on ne peut pas penser que Claude Guéant a volontairement créé la polémique, dans cette stratégie qu'on lui prête souvent et qui viserait à attirer les électeurs du Front national ?
Cette stratégie existe : Nicolas Sarkozy a besoin de reconquérir des électeurs qu'il avait séduits en 2007 et qui sont à nouveau tentés par l'extrême droite. C'est un secret de polichinelle que Claude Guéant en est l'un des artisans - et il l'assume. S'efforcer de ramener vers des partis républicains des gens qui sont attirés par les extrêmes, c'est un objectif louable. Ça ne justifie pas tous les propos - et il lui est arrivé de marcher sur la ligne jaune -, mais il me semble qu'on devrait tenir compte du fait que Claude Guéant ne rate pas une occasion de dénoncer les outrances du FN et de dire l'aversion que lui inspirent les idées de Mme Le Pen. Si on est prêt à ergoter sur l'emploi du mot "civilisation", on peut aussi prêter l'oreille à ces arguments-là.
On pourrait surtout regretter qu'on ne parle pas de tant d'autres sujets : le chômage, la misère, les gens qui meurent de froid...
Mille fois d'accord. Toute cette polémique donne même l'impression d'une sorte de conjuration politicienne pour éluder les vrais sujets. Lancer des incantations, c'est plus commode que de trouver des solutions. Or les questions de l'intégration, du rapport à l'islam - et à la religion en général - dans notre vieux pays laïc, du chômage et de l'oisiveté dans les banlieues, elles restent ouvertes comme des plaies à vif. Au lieu de disserter sur l'histoire comparée des "civilisations", les politiques - et singulièrement les candidats - feraient mieux de proposer des réponses. Ce serait moins démagogique et plus conforme à leur devoir. Plus civilisé.
Ecoutez ci-dessous le "Parti Pris" d'Hervé Gattegno de ce mercredi 8 février 2012 :