Mitterrand-Pétain: l'ancien président fut "sincèrement pétainiste puis sincèrement résistant"

C'est l'histoire d'une photo prise le 15 octobre 1942, à Vichy où l'on voit le maréchal Pétain et François Mitterrand se serrer la main. Un cliché qui reste un secret d'archives pendant 52 ans, avant la publication en 1994 du livre du journaliste Pierre Péan, Une jeunesse française, dans lequel celui-ci dévoile (avec l'assentiment de François Mitterrand) le passé vichyste de celui qui fut président de la République entre 1981 et 1995.
Une photo et une partie de la vie de François Mitterrand dont des millions de Français ignoraient l'existence - ce qui constitua un choc pour beaucoup d'entre eux - au contraire de certains hommes politiques qui étaient au courant depuis nombreuses années: le général de Gaulle, Georges Pompidou, Valéry Giscard d'Estaing, Jacques Chirac...
"Je ne veux pas affaiblir la fonction présidentielle", aurait déclaré De Gaulle
En somme tous les grands adversaires politiques du socialiste. Pourtant, ils ne l'utiliseront jamais contre lui. C'est ce que raconte le journaliste Patrice Duhamel dans son livre La photo, Pétain-Mitterrand: l'histoire secrète d'un document qui aurait pu bouleverser la Ve République, paru le 2 avril aux éditions de l'Observatoire.
Aussi, lorsque le général de Gaulle prend connaissance du cliché en 1965, peu de temps avant l'élection présidentielle dans laquelle il affronte le natif de Jarnac, celui-ci refuse de l'utiliser.
"Il regarde la photo et dit 'Mitterrand est une arsouille (voyou en argot) mais je ne ferai pas à la politique des boules puantes. Imaginez un jour que Mitterrand soit président, je ne veux pas affaiblir la fonction présidentielle", aurait-il déclaré selon Patrice Duhamel, invité ce mardi sur le plateau des Grandes Gueules.
"À ce moment-là, on a beaucoup vécu sur l'idée idiote mais très répandue que Pétain et de Gaulle étaient d'accord. C'est ce qu'on pensait dans les camps", se justifiait François Mitterrand en 1994
C'est ce qui constitue alors la "jurisprudence De Gaulle", selon le journaliste, qui influera la position de Georges Pompidou, Valéry Giscard et Jacques Chirac. L'ancien Premier ministre du général de Gaulle, Georges Pompidou, aurait même jeté la photo dans le feu d'une cheminée devant celui qui était son ministre de l'Agriculture, Jacques Chirac, en 1972, toujours selon Patrice Duhamel.
Une face cachée à propos de laquelle le président s'expliquera lors d'une interview le 12 septembre 1994 face à Jean-Pierre Elkabbach. "A ce moment-là, on a beaucoup vécu sur l'idée idiote mais très répandue que Pétain et de Gaulle étaient d'accord. C'est ce qu'on pensait dans les camps", s'était-il justifié.
Des fonctionnaires de Vichy "impeccables au point de vue patriotrique"
François Mitterrand fut fonctionnaire à Vichy à partir de 1942 après s'être évadé d'un camp de prisonnier, à Stalag, en Allemagne. "Il a été grosso modo pétainiste de janvier à mai 42 quand il était à la Légion, puis son engagement vichyssois a progressivement diminué à partir de juin 42, date à laquelle il rentre au Commissariat au reclassement des prisonniers", relatait Pierre Péan auprès de Libération en 1996. "Il n'a rompu avec Vichy qu'en février-mars de l'année 1943."
"Il est sincèrement pétainiste puis sincèrement résistant", abonde ce mardi sur RMC Patrice Duhamel. Les camps de concentration, la barbarie nazie, "j'étais à cent lieues de connaître ces choses-là", s'était défendu François Mitterrand en 1994. "J'ai appris cela en 1944."
Dans l'administration de Vichy, selon François Mitterrand, il y avait "beaucoup de ces hauts fonctionnaires, je vous ai cité quelques noms, qui étaient des gens impeccables au point de vue patriotique."
La Résistance, "une sorte de pente naturelle"
"La Résistance, à cette époque... Il faut avoir de la chance pour rencontrer des résistants", avait aussi affirmé le président de la République, qui qualifiait son engagement au sein de la Résistance, sous le nom de Morland, comme une "sorte de pente naturelle".
"Une note lui avait été adressée en 1992 en disant 'Attention la photo va sans doute sortir'. Il était tétanisé", assure Patrice Duhamel. En 1994, le socialiste évoquait alors une "résurgence historique". "Je ne dis pas qu'elle soit mauvaise mais elle est presque étonnante."