"L'inqualifiable est permis": corps inversés, devis tronqués... Le business du funéraire attaqué dans un livre

OGF et Funecap sont responsables d'"une obsèque sur trois" en France. Beaucoup d'agences funéraires sont donc sous leur coupe dans l'Hexagone et prennent en charge les familles endeuillées afin de leur proposer un contrat obsèque. Un business juteux dénué de toutes considérations morales, à en croire le livre-enquête de Brianne Huguerre-Cousin et Matthieu Slisse, journalistes à Médiacités Lille, qui publient "Les charognards: pompes funèbres, enquête sur le business de la mort", aux éditions du Seuil.
"On ne parle pas des salariés quand on dit “charognards”. Les salariés des grands groupes sont les premiers victimes de ce système. C’est un métier qui leur tient à cœur, profondément humain, et ils se trouvent eux-mêmes dans une sorte de dualité", tient à préciser d'emblée ce samedi au micro de RMC Brianne Huguerre-Cousin.
"La mort est un facteur à exploiter"
OGF et Funecap, "ce sont des modes de fonctionnement de n’importe quelle entreprise mercantile. On a eu l’horreur de découvrir que dans le business de la mort, tout ou presque est permis. L’impensable, l’inqualifiable, est permis", abonde Matthieu Slisse.
Parmi les exemples criants: un mail envoyé un par un directeur régional d'OGF, dans la région nicoise, avec comme objet "LE MILLION": les destinaires sont ses équipes, qu'il salue pour ses "performances liées à la mortalité en hausse et à l'esprit de conquête". "Il assume que la mort est un facteur à exploiter. C’est permis dans ce secteur, puisqu’à notre connaissance, il n’a pas été écarté du groupe. C’est ça qui doit gêner la profession", estime Matthieu Slisse.
Des services optionnels directement inclus dans les devis
Et pour faire du chiffre, les devis sont tronqués, nous apprend l'enquête. "Dans la dépense funéraire, il y a très peu d’obligations légales. Concrètement, les seules obligations légales sont : le cercueil, la plaque d’identité du défunt, les poignées et le véhicule", explique Brianne Huguerre-Cousin. Problème, des services optionnels sont directement inclus dans les contrats proposés par certains conseillers de Funecap. Ils ne sont retirés "que si la famille le demande". "Ca rapporte pas mal aux entreprises."
"La réponse de l’entreprise est saisissante : 'Regardez, finalement c’est uniquement vendu dans 20 % des devis.' La réponse qu’ils font, c’est : 'Nous avons tenté d’arnaquer les familles, mais ça ne marche pas à chaque fois.' Je ne suis pas sûr que ça marche bien dans un tribunal", poursuit Matthieu Slisse.
"Forcer sur le cercueil lorsque le défunt n'est pas à la bonne taille"
La Fédération nationale du funéraire, l'un des syndicats patronaux du secteur, a engagé une agence de communication de crise pour gérer les conséquences de ce livre-enquête, fait savoir le co-auteur. Celle-ci dénonce les "caricatures d'un livre à charge". "Il n’y a eu aucun démenti de nos informations. Qu’est-ce qui est caricatural ?", répond Matthieu Slisse, qui revendique un portrait "réaliste" de la profession.
Au-delà des devis, les pratiques sont parfois au détriment de la dignité des défunts et des familles. "Funécap a reconnu des histoires d’inversion de corps, notamment cet été : une femme devait être inhumée mais a été crématisée. Donc aucun retour en arrière possible", relate Brianne Huguerre-Cousin. Mais aussi des conseillers qui doivent "forcer sur le cercueil lorsque le défunt n'est pas à la bonne taille". "Des erreurs inqualifiables", assène la co-autrice.
Des "erreurs mais aucun dysfonctionnement systémique dans le secteur ou notre entreprise n’existe", se défend Funecap
Funecap, répond de son côté, que des "procédures ont été mises en place pour éviter que ce type d'erreur ne se produise" et rappelle que la "profession est réglementée et contrôlée". "À la lecture de cet ouvrage, nos collaborateurs et les fédérations funéraires se disent choqués par son titre, déçus par la description d’un quotidien qui ne reflète pas la réalité de leur métier, et déterminés à défendre leur profession", fait-elle valoir auprès de RMC.
"Sursaut sociétal et politique"
Si les deux journalistes estiment ne pas être là pour "trouver des solutions", ils espèrent néamoins que leur livre-enquête puisse permettre à la société et la classe politique de "saisir" du sujet. "Peut-être qu’il faut un sursaut sociétal et politique après la publication de ce livre" et ce alors que le député LFI Hadrien Clouet propose de faire rembourser les frais d'obsèques par la Sécurité sociale.
En attendant, les salariés du secteur semblent de plus en plus prêts à témoigner, à en croire Matthieu Slisse: "On a des dizaines de messages de salariés qui disent : 'Vous visez dans le mille, je suis prêt à en parler.' Ça nous renforce dans l’idée que ce n’est pas caricatural ni trompeur. Ces sociétés n’ont pas envie de se regarder dans le miroir qu’on dresse."